Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (2024)

Les analyses et conclusions de ce document sont formulées sous la responsabilité de son auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’AFD ou de ses institutions partenaires.

  • Cécile Valadier

2 Alors que de nombreux pays émergents et en développement (PED) portent encore les stigmates de la crise liée à la pandémie de Covid-19, avec un revenu par habitant, une situation de l’emploi et des indicateurs sociaux dégradés, l’impact de la guerre en Ukraine remet en cause la reprise observée en 2021. Révisée à la baisse par le FMI dans ses perspectives de juillet 2022, la croissance économique des PED s’établirait à 3,6% en 2022 et à 3,9% en 2023 (respectivement -0,2 et -0,5 p.p. par rapport aux prévisions d’avril). Trois facteurs principaux se conjuguent et pèsent sur les perspectives à court et moyen termes. En premier lieu, le choc inflationniste mondial prend de l’ampleur avec une inflation attendue à 9,5% dans les PED cette année. Les prix plus élevés des denrées alimentaires et de l’énergie, les goulets d’étranglement dans plusieurs secteurs et le rééquilibrage de la demande en faveur des services sous-tendent la hausse de l’indice des prix, parfois accentuée par la dépréciation des monnaies nationales par rapport au dollar américain. Les pays africains et à faible revenu sont particulièrement touchés par l’inflation due à la hausse des cours des matières premières, dans un contexte de tension accrue des finances publiques dans de nombreux pays et de systèmes de protection sociale limités. A contrario, les pays d’Asie bénéficient d’une inflation moins élevée mais sont affectés par le ralentissem*nt de l’activité économique en Chine, avec une croissance désormais prévue à 3,3% en 2022. La mise en place de confinements au printemps en Chine et notamment à Shanghai, en vertu de la stratégie «zéro Covid» menée par les autorités a des conséquences mondiales via la perturbation des chaînes d’approvisionnement et la baisse des importations en provenance de ses partenaires commerciaux. Enfin, le resserrement des politiques monétaires dans les économies avancées conduit à un durcissem*nt des conditions financières internationales pour les PED, à un niveau qui se rapproche dangereusem*nt du pic observé en mars 2020. Le coût de refinancement sur les marchés internationaux est tiré à la hausse par l’appréciation du dollar et la hausse des spreads obligataires (plus de 100 points de base en moyenne depuis avril pour les États dont la notation de crédit est spéculative). L’Afrique est encore une fois particulièrement affectée par cette tendance, avec des taux de rendement au plus haut depuis 2000, compliquant les programmes d’émission et de refinancement d’eurobonds, par exemple pour le Ghana, le Kenya, le Nigeria ou l’Égypte. Les émissions obligataires en devises sont ainsi en baisse de 40% cette année par rapport à 2021. La hausse des taux s’accompagne de pressions notables sur les flux de capitaux dans les PED, l’incertitude conduisant les investisseurs internationaux à préférer les valeurs refuges dans les économies avancées. De même, d’après le dernier rapport de la CNUCED (juin 2022), la croissance des investissem*nts directs étrangers (IDE) au niveau mondial s’est réalisée aux trois quarts dans les économies avancées et des signes de faiblesse dans les PED se manifestent déjà pour cette année.

3 Déjà à l’œuvre depuis mi-2020, la hausse des cours des matières premières fait l’objet d’une analyse approfondie dans ce troisième numéro du Macrodev Panorama semestriel, avec l’objectif de replacer l’envolée spectaculaire des cours observées au printemps dans une perspective historique et de s’interroger sur son caractère transitoire ou pérenne. Au-delà des impacts économiques, que ce soit sur les trajectoires de croissance ou les équilibres externes, qui matérialisent différents degrés d’exposition et de vulnérabilité au choc, les impacts sociaux, notamment en matière de sécurité alimentaire, et politiques sont particulièrement préoccupants. Le choc sur les cours des matières premières alimentaires a mis en lumière la matérialité des risques climatiques et ses effets de contagion transfrontaliers, comme l’illustre par exemple, la décision de l’Inde de suspendre ses exportations de blé suite à la sécheresse que subit le pays et qui vient aggraver les tensions d’approvisionnement au niveau mondial. La hausse des cours de l’énergie et des métaux interroge également sur le rythme d’une transition bas carbone plus que jamais nécessaire. Enfin, dix focus pays s’attachent à décrire les impacts différenciés de la hausse des cours des matières premières sur les PED, à l’intersection des champs économiques, géo- et socio-politiques, et synthétisent les principaux développements économiques et financiers dans les géographies concernées: l’Angola, la République démocratique du Congo, l’Égypte, la Guinée, le Mozambique, le Nigeria, l’Azerbaïdjan, l’Argentine, la Bolivie et le Pérou.

  • Maxime Terrieux

5 Le déclenchement du conflit russo-ukrainien fin février 2022 a eu pour conséquence presque immédiate une envolée des cours mondiaux des matières premières, qu’il s’agisse d’hydrocarbures, de métaux ou de produits agricoles. Cette tendance haussière était en fait déjà à l’œuvre depuis mi-2020, mais elle a été exacerbée par le rôle que jouent la Russie et l’Ukraine sur l’offre mondiale de certaines matières premières telles que le gaz, le pétrole, l’aluminium ou encore le blé… Parmi les causes de cette augmentation, on peut citer la forte reprise de la demande mondiale suite au choc de la pandémie de Covid-19, les contraintes sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, ou encore le changement climatique. Si elle n’est pas sans précédent, cette hausse des prix des matières premières pourrait signaler un nouveau cycle de prix élevés s’étalant sur plusieurs années et qui pourrait avoir des conséquences diverses pour les pays émergents et en développement (PED).

6 À court-moyen terme, les grands bénéficiaires de cette hausse du prix des matières premières sont les principaux exportateurs d’hydrocarbures, tandis que les petites économies ouvertes à faible base productrice, en particulier les états insulaires, pâtissent d’un nouveau choc externe. En outre, l’inflation fait un retour en force comme sujet principal de préoccupation des autorités nationales, tant elle peut affecter le pouvoir d’achat des populations déjà éprouvées par une succession de crises. En réponse, plusieurs gouvernements sont tentés par le recours à l’arme budgétaire avec des baisses de taxes et des hausses de subventions publiques, ce qui ne fait qu’accentuer la hausse des cours du fait du maintien d’une forte demande, tout en dégradant encore plus des comptes publics souvent déjà fortement fragilisés. Les dépenses sociales devront être plus ciblées, mais apparaissent toutefois nécessaires pour contenir les tensions socio-économiques latentes: outre l’inflation, la dégradation de la sécurité alimentaire, qui préexistait à la guerre en Ukraine, devra être particulièrement surveillée.

7 Ce contexte particulier, notamment la hausse du prix des énergies fossiles, pourrait ouvrir la voie à une accélération de la transition énergétique au niveau mondial. Mais l’envolée des cours des «métaux de la transition» risque aussi d’augmenter le coût des énergies renouvelables, retardant ainsi ladite transition. Une coordination accrue apparaît donc nécessaire pour réduire les contraintes pesant sur la disponibilité de ces métaux. Les gains économiques d’une telle transition ne bénéficieraient qu’à un cercle restreint de pays, dont seulement quelques pays en développement (PED). Pour ces derniers, la bonne gestion de nouveaux revenus, d’un niveau potentiellement vertigineux, constituera un défi d’envergure.

8 En mars 2020, le choc de demande lié au déclenchement de la crise liée au Covid-19 avait précipité une nette baisse des cours des matières premières, et notamment du pétrole (-65% entre janvier et avril et un baril à 41 USD en moyenne sur l’année). Mais dès mi-2020, cette tendance s’est nettement inversée, avec une hausse généralisée à l’ensemble des matières premières: énergie (pétrole, gaz, charbon), métaux, produits agricoles. Entre juillet 2020 et décembre 2021, l’indice des prix de l’énergie de la Banque mondiale a ainsi bondi de 132%. Dans le même temps, l’indice des prix des métaux a enregistré une hausse de 58% et celui des prix des produits alimentaires de 44%. L’invasion de l’Ukraine par la Russie fin février 2022 est venue accentuer cette tendance de fond: entre janvier et mai 2022, les prix de l’énergie ont enregistré une hausse de 43% et ceux des produits alimentaires de 25%.

9 Cette hausse généralisée est particulièrement frappante pour certains produits. En deux ans (de mai 2020 à mai 2022), le cours du pétrole a presque quadruplé, celui du charbon a été multiplié par 7 et celui du gaz européen par près de 19. Après avoir augmenté de 64% entre mi-2020 et fin 2021, le cours du blé a doublé sur les cinq premiers mois de 2022. Pour ce qui est des métaux, les cours du lithium, du cobalt, et du nickel, essentiels dans la production de batteries électriques (cf. Section 3), ont plus que doublé en deux ans.

Graphique 1

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (1)

10 Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 provenaient d’abord d’un choc d’offre engendré par l’embargo sur les exportations décidé unilatéralement par l’OPEP et par une réduction de la production iranienne, tandis que le super-cycle des années 2000 était tiré par la demande chinoise. La hausse actuelle des cours des matières premières tient, quant à elle, à la fois à un choc d’offre et de demande multifactoriel.

11 Au niveau de la demande d’abord, la reprise économique mondiale a été nette, après la récession de -3,1% en 2020 provoquée par la pandémie de Covid-19. L’économie mondiale a ainsi enregistré une croissance de 6,1% en 2021. Celle-ci a notamment été tirée par la Chine, dont la croissance de 8,1% en 2021 a augmenté la demande de métaux nécessaires à l’activité industrielle et de certains produits agricoles tels que le maïs et le soja. La demande mondiale agrégée – et avec elle la demande de matières premières – a également été soutenue par les stimulus budgétaires et monétaires dans bon nombre de pays. C’est le cas des économies avancées (dont le PIB a connu une croissance de 5,2% en 2021), mais également de plusieurs économies des PED, notamment en Amérique latine (Brésil, Colombie, Pérou, avec une croissance régionale de 6,8% en 2021), ou encore en Afrique (Rwanda à plus de 10%, Maroc et Côte d’Ivoire à 6,5-7%). Le changement climatique, et les perturbations qu’il entraîne, pèse également sur la demande, principalement énergétique (gaz et charbon), les températures extrêmes alimentant à la fois les besoins de chauffa*ge et de climatisation.

12 Côté offre, la crise de Covid-19 a eu des répercussions bien documentées [1] sur les chaînes d’approvisionnement internationales: fermetures d’usines, de ports, mise en quarantaine de navires marchands, pénuries de semi-conducteurs pénalisant le transport routier (ralentissem*nt de la production de camions), mesures de distanciation sociale pour les employés, changement des structures des échanges internationaux, etc. Ces perturbations créent des goulets d’étranglement réduisant l’offre disponible. C’est notamment le cas des métaux, le prix du cuivre (+65% en deux ans) ayant été tiré en partie par des fermetures ou des grèves dans des mines au Chili et au Pérou, et celui du fer (+40%) par des difficultés de production en Australie. Le changement climatique joue également sur l’offre, notamment pour les prix des produits agricoles. Le phénomène météorologique la Niña, s’est répété en 2020 et 2021 en Amérique du Sud, avec des sécheresses au Brésil et en Argentine en particulier, affectant la production de maïs et de soja. En parallèle, des inondations massives en Australie (les pires depuis 60ans dans la région de Sydney) ont également contraint la production de charbon.

13 Le conflit en Ukraine accentue essentiellement le choc d’offre par deux canaux. D’une part, la guerre bouleverse les chaînes d’approvisionnement physiques: non seulement une partie des capacités productives de l’Ukraine, notamment agricoles (9% des exportations mondiales de blé et 13% pour le maïs) risquent d’être détruites, tandis que l’acheminement des marchandises est interrompu, les ports ukrainiens de la mer Noire faisant l’objet d’un blocus des forces russes. D’autre part, les sanctions internationales envers la Russie modifient le commerce international. L’interdiction – ou du moins la réduction prévue – des importations de pétrole, de gaz et de charbon russes a des conséquences à court terme: les sources alternatives d’approvisionnement de ces biens ne sont pas partout immédiatement disponibles en quantité comparable, exacerbant le choc d’offre. Or, la demande des ménages et des entreprises est relativement inélastique dans la mesure où ils ajustent leur comportement et leurs sources de consommation seulement si les prix persistent à un niveau élevé sur plusieurs mois. Les prix subissent ainsi mécaniquement une nette hausse. Ceci explique notamment la flambée des prix du gaz européen de plus de 50% en mars, dans le sillage de l’annonce par l’UE d’un objectif de réduction des importations russes de deux tiers d’ici fin 2022.

14 La hausse des cours est particulièrement frappante en termes nominaux pour plusieurs produits: le gaz européen, le charbon, le cuivre, les produits agricoles (blé, maïs, soja) ont tous atteint des records historiques au premier semestre 2022. L’augmentation des cours du pétrole depuis mi-2020 est la plus forte enregistrée depuis le choc pétrolier de 1973 et celle des produits alimentaires et des engrais la troisième plus élevée des cinquante dernières années après des chocs d’ampleur en 1972-1973 et 2008-2009.

15 Ces variations et niveaux de prix spectaculaires sont néanmoins à relativiser lorsque l’on raisonne sur les prix réels. En effet, en termes réels, seuls le gaz européen et le charbon ont battu leurs records de 2008 (+50% et +30% respectivement). En revanche, le pétrole est 40% inférieur à son pic réel de 2008. Le blé [2] et les engrais sont inférieurs respectivement de 70% et 55% à leurs pics réels de 1973 et 1974. Même constat pour les métaux: l’aluminium est inférieur de 52% à son pic de 1988, le cuivre de 31% par rapport à un plus haut en 1973-1974 (cf. graphique 2).

Graphique 2

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (2)

* Prix déflatés par l’indice des prix à la consommation des États-Unis (US CPI, base 2019)

16 L’élément le plus frappant touche plutôt, cette fois-ci, à la simultanéité de l’évolution des cours: depuis mi-2020, tous les principaux indices de prix évoluent de façon synchronisée, avec une corrélation moyenne proche de 90%. En 1973, c’est surtout le pétrole qui était affecté, avec un impact immédiat sur les engrais. La hausse des prix alimentaires avait commencé dès 1972, en raison de facteurs indépendants du choc pétrolier, principalement une baisse abrupte de la production mondiale de céréales. En 2008-2009, les mouvements n’étaient pas complètement simultanés, la baisse des prix des métaux commençant plusieurs mois avant le retournement des cours précipité par le déclenchement de la crise financière internationale en septembre 2008. Les grands bouleversem*nts géopolitiques ont indéniablement un fort impact sur le déclenchement des épisodes de chocs sur les matières premières, comme ce fut le cas pour les chocs pétroliers, de 1973 et 1979, liés respectivement à la guerre israélo-arabe d’octobre 1973 (dite «guerre du Kippour») et à la révolution iranienne. Cependant, les similitudes avec la situation actuelle s’arrêtent là. Sur le marché des hydrocarbures notamment, la baisse de l’offre des épisodes précédents était imputable à des embargos décidés par les pays exportateurs, contrairement aux perturbations actuelles sur les chaînes d’approvisionnement.

17 La Banque mondiale prévoit que la hausse actuelle devrait perdurer au-delà de 2022, avec des niveaux élevés de prix au moins jusque fin 2024. Entre avril 2021 et avril 2022, la Banque mondiale a ainsi révisé ses projections de prix nettement à la hausse: +49% pour la prévision 2022 sur les cours des métaux, +92% sur les hydrocarbures, et +150% sur les engrais. Ces révisions à la hausse se retrouvent dans les projections de 2023 et 2024, suggérant l’idée d’une période prolongée de cours élevés.

18 Plusieurs éléments penchent en faveur d’une période prolongée de cours élevés, notamment au regard des contraintes d’offre. Les perturbations sur les chaînes de valeur internationales induites par la pandémie en 2020 persistent en 2022, signe que les goulets d’étranglement pourraient durer à moyen terme. Le sous-investissem*nt chronique dans les mines dans les années 2010 a créé une rareté d’offre de métaux qui est structurelle, et prendra des années à être résorbée. Pour réduire ses émissions de carbone, la Chine a par ailleurs décidé de plafonner sa production d’acier, contribuant à la réduction de l’offre mondiale.

19 En revanche, les effets de la hausse des cours sur la demande et la croissance économique sont incertains pour de nombreux pays, alors que l’inflation semble désormais généralisée à l’ensemble de l’économie mondiale (cf. Section 2). L’inflation et les dommages structurels induits par la crise de Covid-19 pourraient en effet peser sur la demande mondiale, en particulier sur la consommation et sur l’investissem*nt des entreprises. En outre, le dernier super-cycle des matières premières (2002-2014, avec une interruption brève et violente en 2008-2009) était largement tiré par la demande de l’économie chinoise alors en pleine expansion. En 2022, la croissance économique structurelle chinoise a sensiblement diminué par rapport aux années 2000, et elle est réduite conjoncturellement par les conséquences d’une résurgence d’épidémie de Covid-19 début 2022. À moyen terme, si l’Asie devrait rester le continent le plus dynamique, avec notamment une croissance indienne à plus de 8% en moyenne, aucun pays ne semble à même de tirer la demande mondiale dans des proportions équivalentes à la Chine dans les années 2000-2010. Dès lors, le cycle haussier des matières premières pourrait s’interrompre plus rapidement que prévu. La baisse des cours des métaux (-18%) et des engrais (-5%) entre mars et juin 2022 pourrait ainsi être les prémices d’une accalmie plus durable.

20 La hausse généralisée des cours des matières premières, exacerbée par le conflit en Ukraine, constitue d’abord un important choc des termes de l’échange, avec un impact attendu à court-moyen terme sur la balance commerciale et le compte courant des économies. Les principaux gagnants seront essentiellement les exportateurs d’hydrocarbures (cf. Graphique 3). Entre octobre 2021 et avril 2022, le FMI a ainsi substantiellement révisé ses projections de solde courant pour l’Angola, l’Indonésie, le Tchad, les pays du Golfe (Arabie saoudite et Koweït notamment), le Venezuela, le Congo, ou encore l’Azerbaïdjan. Pour la plupart d’entre eux, les excédents courants devraient dépasser 10% du PIB, voire beaucoup plus (Congo: 26%; Azerbaïdjan: 37%). En revanche, pour des producteurs de métaux industriels comme le Chili (cuivre, lithium), le Pérou (cuivre, zinc) ou les Philippines (nickel), les gains d’exportations ne seront pas suffisants pour compenser le surcoût d’importations, si bien que leur position externe devrait se dégrader en 2022. Pour les gros exportateurs agricoles (soja, maïs, blé), la tendance est mitigée: le Brésil devrait bénéficier d’une légère amélioration des termes de l’échange en raison d’une base exportatrice diversifiée (hydrocarbures, produits miniers, céréales), tandis que la reprise domestique en Argentine compensera la hausse des exportations de céréales. Les bénéfices que peuvent tirer les exportateurs agricoles de la situation actuelle sont toutefois pondérés par la hausse simultanée du coût des intrants (engrais).

Graphique 3

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (3)

* le delta correspond à la révision des chiffres entre les WEO d’octobre 2021 et d’avril 2022
Il faut noter que la hausse des cours mondiaux de matières premières ne saurait à elle seule expliquer les deltas de chiffres présentés dans les graphiques 3 à 5.

21 Les gains sur les comptes externes se traduiront pour certains pays en gains de croissance économique, mais pour un nombre plus réduit de pays (Arabie saoudite, Koweït, Oman, Venezuela, voire Guinée équatoriale). Cela devrait venir confirmer les résultats du dernier Commodity Markets Outlook de la Banque mondiale, qui montre qu’historiquement la hausse des cours des matières premières n’entraîne pas de hausse durable de la croissance du PIB (une chute des cours entraînant, a contrario, des effets délétères à plus long terme). Entre octobre 2021 et avril 2022, le FMI a révisé sa prévision de croissance mondiale de -1,3 point, de manière quasi-uniforme entre les PED et les économies avancées. Si les causes de cette révision sont multifactorielles (ralentissem*nt chinois, possibles résurgences de la pandémie, fin des politiques monétaires accommodantes), la hausse des cours entretenue par le conflit ukrainien pèsera fortement dans la balance. Les autorités des pays qui bénéficieront peu des gains des termes de l’échange seront en définitive confrontées à un dilemme entre soutenir la croissance économique, juguler l’inflation et contenir les dérapages budgétaires (cf. infra).

22 Les principaux perdants du choc en cours seront les petit* états insulaires (Grenade, Dominique, Maldives, Seychelles etc.), qui après avoir subi l’effondrement du tourisme lors de la pandémie, devraient encore enregistrer des déficits courants à deux chiffres. Les principaux émergents importateurs nets d’énergie, comme la Turquie, le Maroc, ou l’Inde, devraient également voir une dégradation du solde courant par rapport aux prévisions de fin 2021, mais dans des proportions moindres.

23 Deuxième conséquence directe de la hausse des cours des matières premières, depuis mi-2021 la maîtrise de l’inflation est redevenue un enjeu crucial, partagé par les PED et les pays avancés, illustrée notamment par une inflation record depuis quarante ans aux États-Unis et trente ans en Europe de l’ouest. Avec la reprise de la demande et les contraintes d’offre, les tensions inflationnistes étaient anticipées, avec un pic prévu courant 2022, mais à un niveau moindre tout de même. De plus, la persistance de la hausse des cours des matières premières devrait prolonger la tendance. Entre octobre 2021 et avril 2022, le FMI a ainsi révisé sa prévision d’inflation mondiale de 3,8% à 7,4%, soit un quasi doublement.

24 Cette hausse de l’inflation n’apparaît pas uniforme selon les régions mais répond plutôt aux caractéristiques propres à chaque pays. De gros exportateurs de matières premières comme l’Angola (pétrole) ou la Mongolie (charbon, cuivre), déjà en proie à une inflation élevée, devraient voir une nette accélération des prix (cf. Graphique 4). Pour ces pays, une grande partie des biens de consommation étant importée, la hausse des cours mondiaux se répercute mécaniquement sur les prix domestiques. Le constat est le même pour plusieurs pays d’Asie centrale, du Caucase ou des Balkans, même si chez ces derniers, l’inflation restait modérée jusque début 2022. En Afrique du Nord, la situation est contrastée: en Algérie et en Tunisie, la hausse des cours des matières premières avait commencé à se répercuter sur les prix domestiques en 2021, et les répercussions de la guerre en Ukraine devraient être plus marginales. Le Maroc enregistre une petite poussée inflationniste, mais la hausse des prix devrait rester contenue autour de 4,5% en 2022. L’Égypte, compte tenu de l’importance du blé dans sa diète, devrait néanmoins voir un retour de l’inflation à deux chiffres en 2022, après l’avoir maîtrisée à 5,5% en moyenne depuis mi-2019. En Amérique latine, outre le cas argentin et le non-ancrage des anticipations d’inflation, le Brésil, le Chili et la Colombie devront composer avec une inflation annuelle convergeant rapidement à la hausse vers 10%, tandis qu’elle sera plus modérée en Bolivie ou en Équateur. La prévision d’inflation pour 2022 dans le sous-continent a ainsi été révisée à la hausse de 3,5 points entre octobre 2021 et avril 2022. Cette hausse sera bien moindre en Asie (0,7 point), en raison notamment du ralentissem*nt chinois. Le Sri Lanka, en proie à de grosses difficultés internes, devrait néanmoins connaître une inflation à plus de 15% (+11 points par rapport à la prévision d’octobre 2021), le choc des matières premières venant s’ajouter à la monétisation des déficits budgétaires. L’inflation turque devrait également faire un bon de plus de 40 points (prévision à 60% sur l’année), la dépréciation de la livre turque et la flambée des cours accompagnant une politique économique hétérodoxe depuis plusieurs années.

Graphique 4

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (4)

* le delta correspond à la révision des chiffres entre le WEO d’octobre 2021 et d’avril 2022. Pour un pays donné, la nouvelle (avril 2022) projection d’inflation se calcule en additionnant la projection d’octobre 2021 au delta.

25 Le choc inflationniste devrait donc toucher la quasi-totalité des économies du globe, mais de façon hétérogène. Il devrait être en moyenne plus élevé pour les PED que pour les pays avancés. En avril, le FMI a augmenté sa prévision d’inflation moyenne de 3,8 pp pour les PED contre 3,4 pp pour les économies avancées, accentuant le différentiel d’inflation moyenne sur l’année (8,7% contre 5,7%). Cette différence tient à deux éléments. Le premier est directement lié à la hausse des cours: le panier de consommation moyen des ménages des PED contient une part plus importante de produits alimentaires et d’énergie que dans les pays avancés. La Banque mondiale (Ha et al., 2021) estime que les denrées alimentaires et l’énergie constituent 52% du panier moyen des PED, contre 38% de celui des économies avancées. L’alimentation représente notamment 25% du panier moyen dans les pays émergents, mais plus de 40% dans des pays comme l’Inde, le Sénégal ou l’Éthiopie, contre 15% dans les économies avancées. Le FMI estimait d’ailleurs en 2012 qu’un choc sur les prix alimentaires est, à long terme, quatre fois plus élevé pour les PED que pour les pays avancés (Gelos et Ustyugova, 2012). D’autre part, l’inflation est également importée par un deuxième canal, celui de la dépréciation des devises de plusieurs PED. Déjà à l’œuvre en 2021 (Brésil (-7%), Colombie, (-16%), Turquie (-45%)), la tendance se poursuit en 2022 à l’aune du resserrement monétaire dans les économies avancées, conjugué à la recherche de valeurs refuges dans un contexte de fortes tensions géopolitiques.

26 Face à l’inflation, la réponse des autorités nationales est d’abord monétaire, avec une hausse des taux quasi généralisée (+350 pb au Ghana, +900 pb au Sri Lanka, +1125 pb au Brésil depuis mi-2021). Mais dans un contexte post-pandémique, les autorités voudront veiller à ne pas trop brider l’investissem*nt et la consommation des ménages. L’érosion du pouvoir d’achat attise d’ailleurs les risques sociopolitiques, comme l’illustrent divers épisodes de manifestations ou d’émeutes, notamment ces derniers mois en Afrique du Sud, en Tunisie, ou au Nigeria [3], que les autorités s’efforcent d’endiguer. La réponse budgétaire devient alors une option à laquelle les autorités peuvent être tentées de recourir.

27 Les conséquences de la hausse des cours des matières premières sur les comptes publics sont plus difficiles à appréhender. Comme pour les comptes externes, les principaux bénéficiaires directs de l’envolée des cours seront les pays producteurs d’hydrocarbures (pays du Moyen-Orient, Azerbaïdjan, Congo, etc.), avec des gains sur le solde primaire en 2022 (prévision octobre 2021 contre avril 2022) de plus de 10 points de PIB pour la plupart.

28 En revanche, face à l’inflation, l’arme budgétaire sera utilisée comme réponse indirecte dans plusieurs pays, et entraînera un surcoût. C’est le cas notamment en Afrique du Nord, historiquement habituée aux subventions, un prix que les gouvernements sont prêts à payer pour éviter un scénario de type «Printemps arabe». Les subventions dégraderont le solde budgétaire primaire de la Tunisie et de la Jordanie, qui faisaient déjà face, fin 2021, à un taux d’endettement public élevé (82% et 114% du PIB respectivement, cf. Graphique 6). En Égypte, le retour de l’inflation à deux chiffres sera contré par une hausse substantielle des subventions sur le prix du pain. L’excédent budgétaire dégagé depuis trois exercices à la faveur d’une consolidation importante, devrait ainsi se réduire. La problématique est similaire pour l’Inde, qui a instauré des contrôles de prix et des subventions estimés à plus de 1% du PIB, mais dont les marges de manœuvre sont plus élevées (profil de dette favorable malgré un taux d’endettement public à 87% du PIB). De même, les subventions turques (pain), estimées à plus de 0,5% du PIB, restent absorbables (dette publique à 42% du PIB, risque modéré de non-soutenabilité), tandis que les gains en termes de recettes budgétaires prévus pour un exportateur de matières premières tel que l’Indonésie financeront les subventions sur l’huile et le riz (0,8% du PIB).

Graphique 6

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (6)

* le delta correspond à la révision des chiffres entre le WEO d’octobre 2021 et d’avril 2022

29 La Russie et l’Ukraine comptent parmi les plus gros exportateurs mondiaux de blé, de maïs, d’orge, de colza et d’huile de tournesol. Or, la FAO estime qu’avec la guerre, 20% à 30% des céréales ne pourront être récoltées en Ukraine pour la saison 2022-2023, réduisant ainsi l’offre mondiale. Les sanctions sur la Russie pourraient également réduire la disponibilité des engrais, produits phytosanitaires et sem*nces importés de l’UE par les agriculteurs russes, avec des répercussions sur la production russe – même si ce risque pourrait ne se matérialiser qu’à partir de la saison 2023-2024. L’offre russe pourrait surtout être contrainte par des difficultés logistiques: la guerre et les alliances géopolitiques peuvent amplifier les perturbations sur les chaînes d’approvisionnement internationales, réduire le nombre de navires disposés à transporter des marchandises russes, et rendre ainsi plus difficile l’acheminement des produits russes.

30 En outre, la flambée des cours des engrais et la dépendance élevée aux importations d’engrais russes (plus de 20% des engrais importés en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Ghana ou au Rwanda) posent un double problème: (i) de renchérissem*nt du coût de production des biens agricoles, ce qui se répercutera dans les prix et (ii) de possibles difficultés d’approvisionnement. Une moindre utilisation d’engrais, pour des raisons de disponibilité ou de prix élevés, devrait ainsi réduire la production agricole locale de plusieurs PED, alimentant le choc d’offre.

31 La réduction de l’offre de céréales disponibles en provenance d’Ukraine, et dans une moindre mesure de Russie, expose – du moins en théorie – certaines économies fortement dépendantes des importations russes et ukrainiennes à des risques de pénuries. C’est notamment le cas de la plupart des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le Liban, déjà en proie à une crise économique sans précédent, importe la quasi-totalité de ses céréales et presque exclusivement de Russie et d’Ukraine. La Tunisie et l’Égypte importent plus de 50% des céréales qu’elles consomment, et la Russie et l’Ukraine comptent pour 40 à 50% de ces importations (cf. Graphique 7). L’Ouganda, le Rwanda, la Namibie et l’Éthiopie importent environ 50% de leur blé d’Ukraine et de Russie, tandis que la Côte d’Ivoire, la Tanzanie et le Kenya importent plus de 60% de leur huile de tournesol de ces deux pays.

Graphique 7

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (7)

* La dépendance aux importations de céréales correspond à la part des céréales consommées qui sont importées. Céréales prises en compte: blé, maïs, riz

32 Pour protéger les stocks domestiques et garantir la sécurité alimentaire à court terme, plusieurs pays ont mis en place des restrictions aux exportations depuis le mois de mars. En avril, la Banque mondiale recensait une hausse de 25% des pays imposant des restrictions aux exportations, portant le total à 35 pays. C’est notamment le cas de l’Inde (blé, sucre), de l’Égypte (blé, huile), de l’Indonésie (huile de palme; mesure levée depuis) ou encore de l’Argentine (huile de soja, viande bovine). Mais ces restrictions sont contre-productives, notamment de la part des gros exportateurs: elles contraignent l’offre mondiale, faisant mécaniquement augmenter le prix des aliments, nourrissant ainsi l’inflation qu’elles sont censées amortir.

33 Dans ce contexte, les prix alimentaires pourraient rester élevés à moyen terme, à moins que des pays majeurs comme la Chine ou l’Inde ne révisent leur stratégie de stockage, permettant une hausse de l’offre mondiale [4]. En revanche, les chiffres sur les risques de pénuries – notamment sur le blé – engendrées par le conflit en Ukraine sont à relativiser. Certes, pour les pays d’Afrique du Nord, la part du blé dans la diète peut se rapprocher de 50%, ce qui explique que les autorités de ces pays voudront éviter de nouvelles «émeutes du pain». Mais pour la majorité des pays d’Afrique, de même qu’en Asie (riz), le blé représente moins de 15% de la diète. En outre, les produits d’exportation ukrainiens et russes frappés par un choc d’offre peuvent être remplacés par des substituts à l’échelle mondiale (c’est le cas de l’huile de tournesol, qui peut être substituée par le colza), atténuant les risques de pénuries. Enfin, les pays importateurs ont en général des réserves de 3 à 4 mois de consommation, laps de temps suffisant pour trouver de nouveaux canaux d’approvisionnement.

34 En réalité, la guerre en Ukraine n’a fait que remettre en lumière les risques sur la sécurité alimentaire mondiale. Le rapport sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans le monde de 2021 de la FAO pointait déjà du doigt le fait qu’après avoir été stable à 8,4% entre 2014 et 2020, la prévalence de la sous-alimentation dans le monde était remontée à 9,9% (soit 118 millions de personnes en plus) en 2020. De même, le dernier rapport mondial sur les crises alimentaires de la FAO souligne que le nombre de personnes en état de crise alimentaire aiguë a presque doublé entre 2016 et 2021 (de 108 Mns à 193 Mns). La crise liée à la pandémie de Covid-19 a logiquement joué un rôle dans cette hausse, mais les conflits sécuritaires, le changement climatique et les chocs économiques contribuent également largement à la situation qui préexistait à 2022.

35 Afin de respecter les engagements de lutte contre le changement climatique, la hausse actuelle des cours peut être interprétée comme une occasion à saisir pour accélérer la transition bas carbone pour l’ensemble des pays, qu’ils soient exportateurs ou importateurs d’hydrocarbures. Pour les exportateurs, la manne accumulée pourrait être utilisée pour accélérer les investissem*nts de long terme dans les énergies renouvelables. Pour les importateurs, il s’agit de réduire la dépendance externe en diversifiant les sources d’approvisionnement, mais aussi et surtout en investissant dans la transition énergétique. L’UE cherchera ainsi par exemple à réduire sa dépendance au gaz russe en s’approvisionnant en gaz naturel liquéfié (GNL) auprès du Caucase, de l’Asie ou du Moyen-Orient. Et pour atténuer l’impact de la hausse des prix sur les populations, au-delà des mesures temporaires de subvention des prix à la pompe, ou d’aide sociales plus ciblées, la Banque mondiale préconise surtout une accélération des investissem*nts dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Ce «moment» à saisir se heurte pourtant à plusieurs écueils.

36 La transition énergétique a déjà commencé, comme illustré par la croissance annuelle mondiale de la consommation d’énergies renouvelables à 11,4% entre 2000 et 2020 (croissance négative pour le charbon de -0,6%, et de -0,5% pour le pétrole). Or la transition contribue sensiblement à la hausse des prix actuelle, là encore en agissant sur l’offre et la demande.

37 En effet, les investissem*nts en énergies renouvelables déjà lancés vont être alimentés par les grands plans de relance, notamment aux États-Unis, via des investissem*nts de 1000 Mds USD dans les infrastructures ou au sein de l’UE, avec 800 Mds EUR dédiés à la relance post-pandémie. Ces plans mettent l’accent sur la lutte contre le changement climatique, tirant ainsi la demande pour les matières premières nécessaires à la transition énergétique. La transition devrait en effet engloutir des quantités vertigineuses de matières premières, notamment des métaux dits «de la transition»: cobalt, cuivre, lithium, nickel, et terres rares. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pour une production d’électricité équivalente, les éoliennes contiennent neuf fois plus de minerais que les centrales à gaz; une voiture électrique demande six fois plus de minerais qu’une voiture à moteur thermique. Pour atteindre les objectifs de lutte contre le changement climatique d’ici 2040, l’AIE estime que la consommation de lithium devrait être multipliée par 40, celle de nickel et de cobalt par 20.

38 Or, pour ces métaux, l’offre est actuellement limitée en raison du sous-investissem*nt général des compagnies minières au tournant des années 2010. Un rattrapage est amorcé mais il sera long, la mise en production de nouvelles mines pouvant prendre plus d’une décennie. Selon le FMI (Boer et al., 2021), cette inadéquation entre offre et demande pourrait maintenir les prix réels du cuivre, du cobalt, du lithium et du nickel, à des niveaux élevés au moins jusqu’en 2030.

Graphique 8

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (8)

39 S’agissant des PED, seul un petit nombre d’entre eux bénéficieraient de ce scénario de prix élevés. L’offre des métaux de la transition est en effet concentrée dans un petit nombre de pays, dont seulement une partie est des PED. La République démocratique du Congo concentre notamment 70% de l’offre mondiale de cobalt, l’Indonésie et les Philippines près de 45% de l’offre de nickel à elles deux, alors que le Chili et le Pérou possèdent à eux deux 40% de l’offre de cuivre. Le Chili pourrait également tirer profit de l’explosion de la demande de lithium (25% de parts de marché). Pour ces quelques pays, les gains pour les comptes externes, la croissance ou les finances publiques pourraient être substantiels. Cela implique néanmoins que la hausse des cours n’ait pas d’effets antagonistes, comme au Pérou par exemple, où les gains d’exportation des métaux sont compensés par la facture des importations alimentaires et d’hydrocarbures en 2021-2022. Surtout, les potentiels bénéficiaires devront veiller à ne pas être victimes de la «malédiction des ressources naturelles [5]» - un défi qui peut être immense pour les pays à faible capacité institutionnelle et de gouvernance.

40 Pour atténuer les pressions sur le pouvoir d’achat liées à la hausse des matières premières, la réponse à court terme de plusieurs pays consiste en une hausse des subventions à l’énergie ou à une baisse des taxes sur les carburants, contribuant de facto à la demande en énergies fossiles. Surtout, la hausse des cours des métaux va augmenter le coût de production des énergies renouvelables, mettant à mal la réduction soutenue des coûts observée depuis plus d’une décennie. Si l’innovation technologique peut maintenir la tendance à la baisse des coûts, elle se heurtera également à la hausse des coûts de financement à venir avec la remontée des taux d’intérêt.

41 Dans ce contexte, et face à l’urgence climatique, une action internationale coordonnée sera nécessaire pour réduire les goulets d’étranglement de l’offre. L’annonce par l’AIE, en mars 2022, de l’élargissem*nt de ses mandats au soutien à la transition bas carbone, pourrait être un premier pas dans cette direction.

BAFFES J., NAGLE P. (2022), Commodity Markets: Évolution, Challenges, and Policies, World Bank Group
BANQUE MONDIALE (2021), Commodity Markets Outlook April 2021
BANQUE MONDIALE (2022), Commodity Markets Outlook October 2021
BANQUE MONDIALE (2022), Commodity Markets Outlook April 2022
BOER, L., A. PESCATORI et M. STUERMER (2021), “Energy Transition Metals”, IMF Working Paper, No. 2021/243
CAPITAL ECONOMICS (2022), “Emerging Markets Economics Update, 16 June 2022”
CAPITAL ECONOMICS (2022), “Global Economics Focus, 14 June 2022”
FITCH SOLUTIONS (2021), “Commodities Price Key Themes for 2022”
GELOS G. et Y. USTYUGOVA (2012), “Inflation Responses to Commodity Price Shocks – How and Why Do Countries Differ?”, IMF Working Paper, No. 2012/225
HA, J., M. A. KOSE, et F. OHNSORGE, (2021), “One-Stop Source – A Global Database of Inflation”, Policy Research Working Paper, No.9737, World Bank Group
OXFORD ECONOMICS (2022), “Weekly Economic Briefing | Emerging Markets, 29 April 2022”
RABOBANK (2022), “Agri Commodity Markets Research, Outlook 2022”
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE (2022), “Commodities Outlook, March 2022”
TRAFIGURA (2021), Annual Report 2021

Graphique 9

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (9)

  • Angola
  • République démocratique du Congo
  • Égypte
  • Guinée
  • Mozambique
  • Nigeria
  • Azerbaïdjan
  • Argentine
  • Bolivie
  • Pérou
  • Benoît Jonveaux

44 L’Angola est le deuxième producteur de pétrole d’Afrique et ses performances macroéconomiques sont très directement corrélées aux variations du cours du baril. Le secteur pétrolier représente en effet, selon les années, près de 30 à 35% du PIB, 95% des exportations et 50 à 60% des recettes de l’État. La chute des prix du pétrole à partir de mi-2014 a ainsi engendré d’importants déséquilibres macroéconomiques entraînant cinq années de récession consécutives et a mené le pays au bord du défaut de paiement en 2020. À l’inverse, la hausse marquée des prix du baril depuis 2021, et qui s’est accélérée en 2022, a permis au pays de dégager des excédents significatifs et d’enregistrer une appréciation sans précédent du kwanza. Les efforts entrepris par les autorités pour diversifier le modèle économique sont encourageants mais demeurent encore très insuffisants pour développer de solides relais de croissance, alors que la production de pétrole est en diminution continue depuis 2016.

45 La production de pétrole de l’Angola a connu une accélération à partir de la fin de la guerre civile en 2002, passant d’environ 715000 b/j en moyenne entre 1993 et 2003 à un pic de 1,9 Mn de b/j en 2008 (puis 1,7 Mn de b/j en moyenne entre 2008 et 2019), dont plus de 90% destiné à l’exportation. Ce niveau de production, conséquent au regard de la taille de l’économie angolaise et de sa population, s’est traduit par une dépendance extrême de l’ensemble de l’économie au pétrole. Le secteur pétrolier a ainsi représenté jusqu’à 40% du PIB et 80% des recettes budgétaires (en 2012) et compose 95% des exportations du pays depuis 2008.

46 Cette hausse de la production, conjuguée aux prix élevés du baril pendant la période de super-cycle des matières premières, a permis de tirer la croissance économique à 8,2% en moyenne entre 2002 et 2014 et de porter le PIB par habitant de 950 USD en 2002 à 5600 USD en 2014. La situation budgétaire de l’État a également bénéficié des recettes pétrolières, avec un excédent de 1,3% du PIB enregistré en moyenne entre 2003 et 2013. De la même façon, le compte courant a été largement excédentaire (6,8% du PIB en moyenne sur la même période), permettant d’accroître le niveau des réserves de change de 650 Mns USD à 30 Mds USD.

Graphique 10

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (10)

47 À l’inverse, la chute marquée des prix du pétrole depuis 2014, conjuguée à la diminution de la production, de 1,8 Mn de b/j en 2015 à 1,4 Mn de b/j en 2019, a mis sous forte tension l’économie, qui entre en récession à partir de 2016. Des déficits du compte courant apparaissent entre 2015 et 2017 et entraînent une fonte très rapide des réserves de change du pays, qui sont passées de 30 Mds USD en 2013 à 15 Mds USD en 2018. Les autorités se voient contraintes de dévaluer le kwanza en 2015-2016, puis de le laisser flotter librement à partir de 2018: le kwanza aura perdu près de 75% de sa valeur entre 2015 et 2019. Enfin, les déficits publics s’accumulent (-2,2% du PIB en moyenne entre 2015 et 2019) et le poids de la dette publique explose sous l’effet d’un endettement plus marqué et de la dépréciation, le ratio dette/PIB passant de 39% en 2014 à 114% en 2019.

48 Cette détérioration de la situation depuis 2015 s’est accélérée en 2020, sous le coup des effets de la pandémie sur l’économie et de la nouvelle chute des prix du pétrole. La récession de 2020 a été la plus forte jamais enregistrée (-5,6%) et l’État s’est vu contraint de négocier un rééchelonnement de la dette contractée auprès de créanciers chinois pour éviter le défaut de paiement, dans un contexte de nouvelle dégradation des comptes publics et externes. Toutefois, la hausse des prix du pétrole à partir du milieu de l’année 2021 a permis à l’Angola de retrouver une croissance du PIB positive en 2021 (0,7%) et de dégager d’importants excédents budgétaires (2,8% du PIB) et courant (11,3% du PIB), tandis que le kwanza s’est fortement apprécié (+50% face à l’USD sur un an en juin 2022).

49 La croissance économique devrait se consolider en 2022 (3% selon le FMI) et les excédents budgétaire et courant devraient se maintenir à des niveaux comparables. Le pays bénéficie par ailleurs des ajustements et réformes réalisés dans le cadre du programme FMI (2018-2021), en particulier la flexibilisation du taux de change et l’amélioration de la gestion des finances publiques. C’est ce qui a permis à l’Angola d’être l’un des premiers pays d’Afrique à émettre sur les marchés des capitaux internationaux depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine (1,75 Md USD en avril 2022).

50 L’effet net de la hausse des matières premières est donc positif pour l’Angola, en raison du poids du pétrole dans l’économie. De plus, si l’Angola est importateur d’un grand nombre de produits, notamment alimentaires, l’effet sur les prix devrait être modéré par l’appréciation massive du kwanza. L’inflation, structurellement élevée, décroît, bien que modérément, depuis le début de l’année 2022 (de 27,7% en g.a. en janvier à 22,9% en juin 2022) grâce aux effets de l’appréciation du kwanza et de la hausse du taux directeur de la Banque centrale en juillet 2021 (+450 p.b.).

51 La diversification du modèle angolais doit constituer une priorité pour les autorités pour plusieurs raisons. La première est la promotion d’un modèle de croissance plus inclusif dans un pays ou la pauvreté demeure importante (en 2020, 56% de la population vivait avec moins de 1,90 USD par jour) et les inégalités très marquées. La deuxième est la réduction de l’exposition de l’économie aux chocs exogènes, comme ceux connus en 2015-2016 et en 2020, et donc de la volatilité des performances économiques. La troisième porte sur la préparation, à plus long-terme, de la transition vers un modèle bas carbone, moins émissif et moins dépendant des hydrocarbures. Le maintien de la production de pétrole (encore en déclin en 2021, à 1,2 Mn de b/j) à son niveau actuel nécessitera par ailleurs d’importants investissem*nts, d’autant plus coûteux que les opérateurs cherchent d’ores et déjà à réduire le caractère très émissif de l’exploitation pétrolière en Angola.

52 Le programme PRODESI [6] de diversification des exportations mis en place en 2018 constitue une première initiative qui contribuera à ces objectifs. Celle-ci est cependant isolée en l’absence d’autres mesures plus ambitieuses, disposant d’un appui politique et financier significatif. Cette préoccupation est par exemple loin d’avoir été au cœur de la campagne des élections générales d’août 2022, comme en témoignent les déclarations du Président João Lourenço qui a appelé de ses vœux, lors d’une conférence de presse en avril 2022, une transition «graduelle» vers une économie bas carbone et la possibilité pour les pays africains de continuer à bénéficier pleinement de l’exploitation des énergies fossiles dont elles disposent.

  • Luciana Torrellio

54 Pays le plus vaste d’Afrique subsaharienne, la République démocratique du Congo (RDC) est un pays à faible revenu dont l’activité économique se concentre essentiellement autour de l’industrie extractive. Le rétablissem*nt des relations avec le FMI en 2021, neuf ans après l’interruption du dernier programme, témoigne d’une volonté de normalisation des rapports avec la communauté internationale de la part des autorités. La faible mobilisation fiscale reste un enjeu majeur, même si une dynamique politique plus propice aux réformes conforte les perspectives d’assainissem*nt des finances publiques. Les effets de la hausse des prix des matières premières sont antagoniques: ils contribuent à la nette amélioration des comptes externes mais devraient peser sur la consolidation budgétaire, dans un contexte où la vulnérabilité socio-économique aiguë entretient des conflits susceptibles de s’accentuer à la veille des élections présidentielles de 2023.

55 L’économie congolaise est souvent associée à la «malédiction des ressources naturelles», dont l’exploitation est à la fois la principale rente du pays, mais également un facteur de vulnérabilité majeur. Depuis l’époque coloniale, le secteur minier a une place essentielle dans le modèle économique de la RDC, très largement tourné vers les exportations de produits primaires à faible valeur ajoutée (95% des exportations totales, dont 40% à destination de la Chine). Le sous-sol du pays compte parmi les plus riches au monde avec plus d’une cinquantaine de minerais recensés, dont les deuxièmes réserves mondiales de cuivre (10% du total recensé) ou encore les plus importantes réserves de cobalt (50% du total recensé). Malgré cette manne, la RDC n’a pas réussi à atteindre son potentiel de croissance économique en raison d’institutions défaillantes et de son instabilité politique. Le pays est marqué par l’un des niveaux de corruption les plus élevés au monde et occupe le 169e sur 180 dans le classem*nt de Transparency international. En parallèle, de profondes divisions persistent au sein de la société congolaise et sont accentuées par des conflits pour le contrôle des mines. La pression démographique, parmi les plus fortes au monde, et la faible inclusivité de la croissance économique ont freiné le développement socio-économique: ainsi, en 2021, 77,2% de la population vivait en situation d’extrême pauvreté, au seuil de 1,90 $/j.

56 Le retournement des cours des matières premières en 2014 s’est traduit par une baisse des recettes d’exportations et budgétaires affectant fortement l’investissem*nt et la croissance du PIB (TCAM de 4,1% en moyenne en 2015-2019 vs. 6,3% en 2002-2014). Dans le contexte pandémique, la croissance économique a ralenti de 4,4% en 2019 à 1,7% en 2020, avec une contraction de 1,3% de l’activité du secteur non extractif. Le choc a été largement atténué par la flexibilité des mesures de restriction sanitaire instaurées dans le pays et par la vigueur de la demande chinoise permettant de dégager une croissance de 6,9% de la production minière en 2020. La forte hausse des cours, notamment ceux du cuivre et du cobalt qui ont atteint des niveaux historiquement élevés, a contribué à un rebond de la croissance, à 6,2% en 2021, qui devrait rester relativement stable en 2022 selon le FMI.

Graphique 11

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (11)

Note: le diamètre des bulles représente le poids moyen du secteur dans le PIB

57 L’exécution budgétaire de la RDC apparaît également fortement exposée à l’évolution des cours des matières premières. Bien que le pays oscille entre légers déficits (inférieurs à 2% du PIB) et excédents depuis 2005, tout en affichant un taux d’endettement public modéré (prévu en baisse à 24,7% du PIB en 2022), le faible taux d’exécution des dépenses (~74% sur la période 2017-2021) entache la crédibilité budgétaire des autorités. Toutefois, le pacte de stabilité du cadre macroéconomique et monétaire adopté en août 2020 [7] et le nouveau programme FMI (facilité élargie de crédit de 1,52 Md USD sur trois ans) signé en août 2021 devraient contribuer à assainir les finances publiques et accroître les perspectives de réformes. Ainsi, une progression des recettes fiscales semble se dessiner. Les recettes budgétaires se sont accrues d’environ 60% en 2021 par rapport à 2020 pour s’établir à 13,2% du PIB, en lien avec la digitalisation des recettes (de l’ordre de 50% dans 19 provinces et de 100% dans celles placées sous état de siège) et la bonne performance du secteur minier. Cette tendance devrait se poursuivre grâce à la mise en place de l’impôt spécial sur les profits excédentaires. Cet impôt, inédit depuis la mise en œuvre du code minier, est une étape importante pour une fiscalité minière encore sous-exploitée.

58 L’impact de la guerre russo-ukrainienne sur les prix des matières premières et les chaînes de valeur devrait néanmoins affecter négativement la performance budgétaire en raison de la hausse des subventions sur les prix du carburant. Ainsi, le déficit est prévu à 3,3% du PIB en 2022, alors qu’il était à l’équilibre en 2021. Après avoir ralenti à 5,3% en 2021 (15,7% en 2020), l’inflation pourrait atteindre 11% en 2022 selon les dernières projections de la Banque centrale en raison notamment de la flambée des prix alimentaires.

59 L’amélioration de la balance commerciale à la faveur de la conjoncture mondiale en 2021 s’est traduite par des entrées nettes de devises qui, conjuguée aux allocations de DTS du FMI (~1,5 Md USD), ont permis de conforter les réserves en devises. De ce fait, celles-ci ont atteint un niveau record de 3,5 Mds USD à fin décembre 2021 (soit seulement environ 3 mois d’importations), ce qui accroît la capacité de réponse face aux chocs externes, mais demeure insuffisant. Alors que le franc congolais s’était fortement déprécié en 2020 (-15,2% vis-à-vis de l’USD), une certaine stabilité est observée depuis, avec une dépréciation de 1,4% en 2021 et un taux de change stable depuis le début de l’année 2022. Malgré une hausse de la facture des importations, le déficit du compte courant pourrait être proche de l’équilibre en 2022 après 14 années de déficit (-4,4% du PIB en moyenne).

60 Le programme FMI, le retour des bailleurs internationaux et le boom minier, notamment autour du cobalt, ouvrent des perspectives favorables à court-moyen terme. Portée par l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, la consommation mondiale de cobalt raffiné pourrait atteindre 200500 tonnes en 2025 et 344000 tonnes en 2030, selon la Banque mondiale. Si le pays devrait continuer à dominer le marché du cobalt jusqu’en 2025, les efforts internationaux pour développer de batteries de nouvelle génération et réduire ainsi la dépendance au cobalt posent un risque sur la pérennité du modèle de croissance congolais. Ce risque est accentué par la pression concurrentielle en raison du développement de mines de cobalt dans d’autres pays, aux Philippines et en Indonésie notamment. Exacerbée par un manque d’infrastructures qu’alimentent des marges de manœuvre limitées et un climat des affaires complexe, l’absence de diversification de l’économie laisse l’économie très vulnérable aux chocs externes. Par ailleurs, alors que l’inquiétude quant au risque d’un glissem*nt du calendrier électoral ne cesse de croître, les élections présidentielles prévues pour fin 2023 accentuent le risque de tensions sociales. Ainsi, la vulnérabilité socio-économique aiguë entretient les conflits et la fragilité du pays.

  • Maxime Terrieux

62 Alors que l’économie égyptienne avait plutôt bien résisté à la pandémie (pas de récession), l’envolée des cours des matières premières en 2022 pourrait créer les conditions d’une «tempête parfaite»: risques sur la sécurité alimentaire, croissance moins élevée que prévu, entrave à la consolidation budgétaire. Mais c’est le retour d’une inflation à deux chiffres, et surtout celui de tensions sur les réserves en devises, qui ravivent les démons d’un passé récent (crise de 2016), et contraignent une fois de plus les autorités à faire appel au FMI.

63 «L’Égypte a suffisamment de réserves de blé pour tenir toute l’année 2022», tenait à rassurer lors d’une conférence de presse début mars Mostafa Madbouly, le Premier ministre égyptien. Cette déclaration intervenait alors que le déclenchement du conflit en Ukraine faisait naître un vent de panique sur la sécurité alimentaire de nombreux PED.

64 En Égypte peut-être plus qu’ailleurs, l’enjeu de sécurité alimentaire lié notamment au risque de pénurie de blé est réel. À travers le pain, le blé est une composante essentielle (~50%) du régime alimentaire des Égyptiens. Largement subventionné depuis les années 1940, le pain est un sujet très sensible politiquement. La mémoire collective est toujours marquée par les «émeutes du pain» de 1977, consécutives à la décision des autorités de mettre fin aux subventions, et qui avaient fait plus de 80 morts. Lors de la révolution de 2011, les manifestants réclamaient «du pain, de la liberté, et de la justice sociale». La place centrale qu’occupe le pain explique également que le prix subventionné n’a pas changé depuis 1989. L’Égypte, qui importe plus de la moitié de sa consommation de blé, en est le plus gros importateur mondial. Et 80% de ces importations proviennent de Russie et d’Ukraine.

65 Dans ce contexte, les perturbations d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine peuvent légitimement faire craindre pour la sécurité alimentaire des plus de 100 Mns d’Égyptiens. Cela dit, les stocks disponibles et la nouvelle récolte d’avril-mai devraient bien permettre au pays de sécuriser ses approvisionnements jusque fin 2022. Cela laisse le temps pour une diversification des sources, notamment avec l’Inde ou des pays de l’UE. En réalité, l’enjeu pour les autorités égyptiennes repose plutôt sur les prix. Pour sécuriser les approvisionnements, les autorités devront accepter de payer au prix fort les nouvelles importations. Cela pèsera sur le budget de l’État mais apparaît nécessaire pour contenir les frustrations d’une population déjà confrontée à la montée de l’inflation.

66 Si l’envolée des cours des matières premières affecte directement l’économie par plusieurs canaux, c’est l’inflation qui en est le principal vecteur. Stabilisée autour de 5% (g.a.) depuis mi-2019, elle atteignait 15% (g.a.) en moyenne au deuxième trimestre 2022, un niveau auquel elle devrait se maintenir en moyenne sur l’ensemble de l’année (consensus autour de 15%). Essentiellement tirée par la hausse des prix alimentaires (plus de 30% du panier de l’indice des prix) – malgré les subventions au pain – l’inflation devra être surveillée pour deux raisons. D’abord elle pénalisera la croissance d’une économie qui pâtira aussi de l’absence des touristes russes et ukrainiens (deux des plus gros contingents de visiteurs en 2021), même si la croissance devrait rester assez élevée (5,5% en moyenne sur les années fiscales 2022 et 2023). Ensuite, elle restera un enjeu socio-économique fort pour une population qui voit son niveau de vie affecté par les crises successives. L’inflation élevée (22% en moyenne sur 2017-2018) a notamment contribué à la compression de la classe moyenne pendant le programme FMI de 2016-19. La réponse de la Banque centrale, par une hausse du principal taux directeur de 300 pb depuis début 2022 à 12,25%, pèsera également sur les ménages mais apparaît nécessaire pour ramener l’inflation dans la cible (7% ± 2 pp) et soutenir la livre égyptienne et la liquidité externe (cf. infra).

Graphique 12

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (12)

67 Compte tenu des enjeux socio-économiques, les autorités maintiendront vraisemblablement inchangés les prix du pain subventionné. Avec la hausse des cours du blé, cela alourdira mécaniquement la facture des subventions et dégradera le solde primaire. Les efforts de consolidation budgétaire (élimination progressive des subventions au carburant entre 2017 et 2019), qui ont permis de dégager un excédent primaire depuis trois exercices (+1,3% du PIB en moyenne sur FY2019-2021) devront donc être maintenus pour permettre au taux d’endettement public de regagner une trajectoire baissière. Stabilisée à un niveau élevé (~90% du PIB), la dette publique était en effet jugée soutenable par le FMI en juin 2021, mais pas avec une probabilité élevée. Elle est avant tout exposée à un risque de refinancement, matérialisé par un besoin de financement de l’État de plus de 35% du PIB par an, compte tenu d’un niveau d’amortissem*nt de dette conséquent en lien avec une maturité courte. Si ce niveau reste a priori absorbable par la liquidité du marché financier local, il est bien supérieur au seuil critique théorique (15%). Ceci expose la dette publique à des retournements de confiance et des tensions sur la liquidité, comme observé sur le marché local et sur le marché international. Les spreads souverains sur les eurobonds ont notamment connu une envolée éphémère à plus de 1000 pb début mars avant un resserrement à un niveau toujours élevé de 900 pb fin juin.

68 Importatrice nette de nombreux biens essentiels, l’Égypte devrait pâtir d’une dégradation des termes de l’échange et voir son déficit du compte courant se creuser en 2022 (projection du FMI révisée de -3,7% du PIB à -4,3% du PIB entre octobre 2021 et avril 2022). L’accumulation de flux d’investissem*nts de portefeuille depuis fin 2020 pour la couverture du déficit du compte courant, beaucoup plus volatils que les traditionnels IDE (couvrant seulement 30% du déficit en moyenne sur 2020-21 contre 70% sur 2015-19), expose l’Égypte à des arrêts brutaux (sudden stops) qui pèsent sur la liquidité externe. Ce risque s’est matérialisé depuis début 2022 par une sortie de devises de plus de 7 Mds USD, déclenchée par une perte de confiance sur les émergents dans un contexte de resserrement monétaire de la Fed, et pour l’Égypte en particulier, d’une baisse du taux d’intérêt réel. Les réserves en devises ont ainsi baissé de plus de 20% depuis le début de l’année, ramenant le taux de couverture à environ 4 mois d’importations de biens et services (6 mois avant le début de la pandémie), et contraignant les autorités à deux mesures rapides en réponse: (i) une dévaluation de la livre égyptienne de 14% en mars et (ii) au même moment, une demande au FMI de programme avec financement, le troisième en six ans. Le programme, dont les contours sont en cours de discussion avec les équipes du Fonds, catalysera les financements d’autres bailleurs, et complétera les 22 Mds USD promis par plusieurs pays voisins du Golfe. Si la dette externe (35% du PIB) et le BFE (8,5% du PIB pour 2022) sont contenus, la liquidité externe restera donc un enjeu récurrent à surveiller, compte tenu de l’historique de crise de balance des paiements de l’Égypte.

  • Marion Hémar

70 Depuis la fin de l’épidémie d’Ebola en 2016, l’activité économique a entamé une reprise dynamique sous l’effet notamment de la vigueur du secteur extractif. Les exportations minières (bauxite et or) représentent plus de 90% des exportations du pays (2020) et la Chine constitue le principal partenaire commercial du pays. La croissance guinéenne, et plus précisément celle du secteur minier, a bien résisté aux effets de la pandémie de Covid-19 en 2020-2021 et devrait demeurer dynamique au cours des prochaines années. Toutefois, l’augmentation du prix des biens alimentaires et l’instabilité politique observée depuis fin 2021 sont de nature à accroître le risque de turbulence sociales et pourraient pénaliser la dynamique de croissance. Les perturbations liées au conflit russo-ukrainien ne devraient quant à elles affecter que marginalement les exportations guinéennes.

71 Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a traversé plusieurs périodes d’instabilité politique ponctuées de coups d’État. En 2020, le président Alpha Condé, âgé alors de 82ans, a décidé d’engager son parti et son gouvernement, dans le projet d’une nouvelle Constitution afin de pouvoir se représenter pour un troisième mandat. Des manifestations de grande envergure et des troubles sociaux ont marqué les élections législatives et le référendum constitutionnel tenus en mars 2020. Malgré cela, les élections présidentielles se sont tenues en octobre et ont consacré la réélection d’A. Condé, mais ce résultat a été fortement contesté par l’opposition. C’est dans ce contexte de turbulences politiques qu’a eu lieu le coup d’État militaire de septembre 2021. Malgré l’existence d’une Charte de transition, le gouvernement du chef putschiste, Mamady Doumbouya, n’a à ce jour pas proposé de calendrier clair pour le retour à l’ordre civil et des mécontentements populaires commencent à émerger.

72 La Guinée a un potentiel économique considérable: en plus d’être un producteur important d’or et de diamants, le pays possède un tiers des réserves mondiales de bauxite ainsi que des ressources abondantes en eau. Entre 2000 et 2010, la Guinée n’a pas réussi à tirer parti de ses abondantes ressources naturelles et améliorer sa performance économique, du fait notamment de l’instabilité politique et de ses faiblesses institutionnelles. Après une période initiale de résultats positifs (2011–2012) en lien avec la reprise des cours des matières premières, la Guinée a subi une série de chocs qui ont freiné la croissance économique, notamment les troubles politiques qui ont précédé les élections législatives de 2013, la forte baisse des cours des métaux en 2012-2013, les turbulences de 2015 en lien avec l’élection présidentielle et l’épidémie d’Ebola entre 2014 et 2016. En 2020, malgré la crise sanitaire et les turbulences politiques locales, la croissance du PIB s’est maintenue à plus de 6%, soit le second taux de croissance le plus dynamique au monde. La croissance du PIB minier (+34,6%) a essentiellement contribué à l’atteinte de ce résultat, avec la hausse de la production, la reprise de la demande chinoise mi-2020 et l’augmentation des prix de l’aluminium. La croissance du PIB non minier (+1,3%) a été limitée, pénalisée par les mesures d’endiguement qui ont eu des effets néfastes sur le tourisme, les transports et le commerce de détail. En 2021, la croissance du PIB est estimée à 4,2%, toujours portée par le secteur minier (+7,7%) et le FMI prévoit +4,7% pour 2022, proche du potentiel de croissance d’environ 5%.

Graphique 13

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (13)

73 La Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) poursuit une politique de lutte contre la hausse des prix avec une cible d’inflation inférieure à 10%. En 2020, dans le contexte de crise sanitaire, la BCRG a procédé à un assouplissem*nt monétaire afin d’améliorer la liquidité des banques et soutenir l’offre de crédit à l’économie. Ainsi, elle a abaissé le taux directeur (de 12,5 à 11,5%) et le coefficient de réserves obligatoires pour les banques commerciales (de 16 à 15%). L’inflation s’est établie à 12,6% fin 2021 selon le FMI, après 10,6% en 2020 (dernières données nationales à septembre 2021), tirée par l’augmentation des prix des produits alimentaires (+15%) et la politique monétaire plutôt accommodante. Malgré le contexte fortement inflationniste depuis fin 2021, la Banque centrale n’a pas rehaussé ses taux directeurs. L’envolée des prix des biens alimentaires en début d’année 2022 est de nature à accentuer les tensions sociopolitiques. La croissance économique étant essentiellement redevable au secteur minier, celle-ci est peu inclusive. Cela se traduit par un faible niveau de vie que la Guinée peine à relever dans un contexte de forte croissance démographique (+ 2,8% en 2020). Le taux de pauvreté, au seuil national, se situe à environ 50% de la population et presque un quart de la population vit avec moins de 1,90 USD par jour.

74 Le déficit budgétaire reste limité depuis l’ajustement réalisé en 2016 après la fin de l’épidémie d’Ebola. Il s’est toutefois creusé depuis 2020 (à -1,5% du PIB en 2021 contre -0,5% en 2019) avec l’augmentation des dépenses, en lien avec la crise sanitaire, et malgré la bonne tenue des recettes, structurellement faibles (inférieures à 15% du PIB). L’atteinte par la Guinée du point d’achèvement de l’initiative PPTE en 2012 avait induit une réduction conséquente de l’endettement public (de 58% du PIB en 2011 à 27% en 2012). Depuis, le pays connaît un rythme de ré-endettement rapide, avec notamment une hausse de la dette en devises. Toutefois, en 2021, sous l’effet de la contraction du déficit budgétaire et de l’appréciation du franc guinéen le taux d’endettement public total s’est réduit sensiblement à 39% du PIB contre 44% fin 2020.

75 Avec un taux d’ouverture de plus de 50%, la Guinée est une économie particulièrement extravertie. La Chine est le principal partenaire commercial du pays, avec 40% de ses exportations et 39% de ses importations en 2019. Le solde de la balance courante est structurellement déficitaire (à 4% du PIB en 2021 contre 15% du PIB en moyenne au cours de la dernière décennie), et son évolution est étroitement liée à l’activité extractive (93% des exportations de biens en 2020) et aux variations du cours des produits miniers (bauxite, or et diamant) sur le marché international. Les perturbations liées au conflit russo-ukrainien, dont notamment l’arrêt de l’usine d’alumine de Rusal en Ukraine, ne devraient affecter que marginalement les exportations guinéennes, les filiales du groupe Rusal (CBK et COBAD) représentant moins de 10% des exportations de bauxite du pays (mais près de 5000 emplois, en incluant la raffinerie FRIGIA). Le financement du déficit du compte courant est historiquement réalisé par les IDE, principalement dans le secteur minier, et les flux générateurs de dette du secteur public. Alors que les IDE semblent bien orientés en 2022, les financements des bailleurs pourraient connaître un coup d’arrêt en l’absence de transition politique claire. Le déficit du compte courant se creuserait à près de 10% du PIB en 2022 selon le FMI avec une hausse des importations supérieure à celle des exportations. En 2020, les réserves en devises ont légèrement progressé à 1,4 Md USD, soit 2,2 mois d’importations (contre 2,1 mois fin 2019). La BCRG n’a, à ce jour, pas publié le niveau des réserves à fin 2021, mais le pays atteindrait le niveau de 3 mois d’importations, préconisé par le FMI pour un régime de change de flottement administré, en 2026.

  • Maëlan Le Goff

77 Le Mozambique mise sur l’exploitation de ses vastes réserves gazières pour enclencher une transformation structurelle de son économie, stratégie qui parait particulièrement opportune dans un contexte de prix élevés du gaz et de tentative européenne d’émancipation vis-à-vis du fournisseur russe. Toutefois, le retour sur investissem*nt tarde à se matérialiser, avec des projets à l’arrêt et un coût important pour l’économie (dégradation des déficits jumeaux, explosion de l’endettement, accentuation des tensions dans le nord, stagnation du revenu par habitant). Si les perspectives s’améliorent à court terme, grâce au démarrage du projet de gaz naturel liquéfié (GNL) offshore et au retour des bailleurs, le rééquilibrage macroéconomique et le passage à une croissance économique plus diversifiée et inclusive ne semblent pas envisageables.

78 À l’heure où l’Europe tente de s’affranchir du gaz russe, les immenses réserves mozambicaines (de 100 à 180 milliards de pieds cubes selon les sources) attisent la convoitise. Leur exploitation pourrait faire du Mozambique l’un des premiers producteurs mondiaux de GNL, tandis que le pays se rêve déjà en leader de la transition en Afrique. Au plan national, la rente gazière est présentée comme une promesse de diversification et de développement socio-économique, mais les fragilités institutionnelles du pays pourraient contribuer à le maintenir dans un schéma de «fiscal presource curse» où la détérioration des finances publiques est causée par la découverte de ressources naturelles et ce, avant même leur exploitation [8].

79 Tandis que le Mozambique possède l’un des sous-sols les plus riches au monde (produits miniers et hydrocarbures) et que ses ressources financières sont massivement mobilisées pour les mégaprojets [9], le revenu par habitant (500 USD courants) et le taux de pauvreté (> 63%), stagnent depuis 2014. Si le secteur extractif ne représente que 7% du PIB, l’économie tend à se concentrer sur ce dernier. Ainsi, en matière de complexité économique, le Mozambique serait passé de la 89e place mondiale en 2004 à la 114e en 2020. En 2019, près de 65% des exportations du pays étaient composées d’aluminium (et produits dérivés) ainsi que de charbon et de gaz naturel. La dynamique de croissance du PIB repose ainsi fortement sur les cours de ces ressources, d’où le ralentissem*nt observé à partir de 2015, accentué par le scandale des dettes cachées dès 2016. Après un léger rebond observé au lendemain du séisme de 2019 et de la pandémie de Covid-19 (2,2% en 2021), la croissance économique devrait accélérer à 3,8% en 2022, essentiellement grâce au démarrage des activités de liquéfaction du gaz en offshore.

80 L’avancée des mégaprojets gaziers est fortement perturbée par les tensions sécuritaires qui déstabilisent le nord du pays depuis 2017. Sur les trois grands projets de production de GNL, seul celui mené par la société ENI (capacité de 3,4 Mt par an), davantage préservé des attaques de par son positionnement offshore, devrait se concrétiser d’ici fin 2022. Par contre, les projets de TotalEnergies et d’ Exxonmobil (d’une capacité annuelle respective de 13,1 Mt et de 15,2 Mt) ont été suspendus depuis l’attaque de Palma en mars 2021. Depuis, les offensives, menées par le groupe armé islamiste Al Shabaab, se poursuivent dans les provinces du Cabo Delgado et du Niassa. La pauvreté et le sentiment d’exclusion des musulmans du nord peuvent expliquer l’origine de ces tensions, responsables de 800000 déplacés internes (OIM). Mais celles-ci ont probablement aussi été attisées par le coût supporté par les populations locales [10], sans véritables retombées positives, notamment en termes d’emplois.

Graphique 14

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (14)

81 Misant sur les revenus futurs générés par la production de GNL (mais aussi de charbon, de sable ou d’aluminium), le pays a massivement investi dans les mégaprojets et dans les infrastructures nécessaires à leur mise en œuvre, en s’endettant via des prêts adossés aux revenus gaziers à venir. Cette stratégie ajoutée à la révélation de dettes cachées garanties par l’État pour des projets liés aux investissem*nts gaziers, a fait exploser le taux d’endettement, qui est passé de 38% du PIB en 2011 à plus de 100% en 2016. Les importations nécessaires aux investissem*nts pèsent également sur la balance courante. Structurellement déficitaire en raison des importations de pétrole et de produits alimentaires, elle s’est fortement dégradée suite à la découverte des gisem*nts gaziers (-30% du PIB en moyenne sur la période de 2011-2021, contre -11% sur celle de 2000-2010). La reprise du projet gazier offshore, et notamment l’importation pour 4 Mds USD (1/4 du PIB) de la plateforme flottante d’exploitation du GNL, devrait ainsi grandement contribuer, avec le renchérissem*nt des importations lié à la guerre en Ukraine, à la détérioration du déficit courant en 2022 (projeté à -45% du PIB).

82 Si les autorités considèrent que l’exploitation des richesses gazières pourrait rapporter près de 100 Mds USD de recettes budgétaires (7 fois le PIB nominal annuel) sur 25ans, les gains devraient rester faibles à moyen terme. Selon le FMI, le solde budgétaire redeviendrait positif à partir de 2026, avec des recettes nettes tirées des projets de GNL limitées (< 0,5% du PIB d’ici 2026) étant donné la part réservée au remboursem*nt des emprunts. La création d’un fonds d’investissem*nt afin de faciliter la gestion des recettes tirées des projets gaziers est prévue pour fin 2022. La balance courante ne devrait pas profiter de l’exploitation des ressources gazières avant 2027. Le retour des bailleurs, encouragé par la signature en mai 2022 d’un programme FMI adossé à une facilité élargie de crédit (FEC), ainsi que la hausse des entrées de capitaux hors IDE, pourraient toutefois faciliter le financement du besoin de financement externe (BFE). En outre, selon la dernière analyse de viabilité de la dette du FMI (avril 2022), le pays ne serait plus en détresse de dette, mais sa viabilité à long terme reste conditionnée à la mise en exploitation des différents projets de GNL. Si les perspectives semblent ainsi s’améliorer à court terme, le Mozambique ferait partie, selon Moody’s, des quatre pays africains où le risque de déstabilisation sociopolitique en lien avec la conjoncture internationale est le plus élevé, comme en témoignent les «émeutes de la faim» qui ont frappé le pays en 2016. En outre, à plus long terme, les chances que la montée du secteur des hydrocarbures transforme structurellement l’économie sont minces étant donné les fragilités structurelles du pays [11].

  • Sylvain Bellefontaine

84 Le Nigeria est entré dans la crise de Covid-19 encore marqué des stigmates du choc pétrolier de 2014, du fait du caractère névralgique du secteur des hydrocarbures. Le déclin de la production de pétrole et la faible capacité de raffinage ne permettent pas au pays de bénéficier pleinement de la hausse des cours du brut (croissance du PIB, comptes externes et publics). À l’orée des élections générales de février 2023, les coûteuses subventions aux prix des carburants devraient obérer la consolidation budgétaire, et la hausse des prix alimentaires accentuer le risque de paupérisation et fragiliser davantage la cohésion nationale. La trajectoire de développement socio-économique du pays demeure très incertaine, compte tenu des vulnérabilités structurelles, de la dégradation des politiques économiques et de l’environnement des affaires depuis 2015. Facteur d’accélération de la transition énergétique européenne et mondiale, la crise ukrainienne ouvre néanmoins une fenêtre d’opportunités économiques et commerciales au Nigeria.

85 Symbole de dynamisme au niveau microéconomique, deux des cinq licornes du continent africain sont nigérianes (les fintechs Interswitch et Flutterwave). Confrontée à une forte pression démographique, une stagnation du niveau de vie, une hausse de la pauvreté, un risque sécuritaire élevé et des filets sociaux limités, la population démontre une certaine résilience. Cette dernière tient au rôle d’amortisseur socio-économique de l’économie informelle, au développement des services et au poids de l’agriculture, principaux moteurs de la croissance économique et pourvoyeurs d’emplois. Toutefois, le secteur énergétique demeure la variable-clé de l’équation macroéconomique. S’il ne pèse guère plus de 7% du PIB (vs. 15% en 2011), il génère toujours plus d’un tiers des recettes budgétaires, 90% des exportations et un quart de l’encours de crédit bancaire.

86 Le modèle économique nigérian est très exposé au risque de transition bas carbone. Mais en attendant la sortie des énergies fossiles, le conflit russo-ukrainien offre des opportunités en termes d’approvisionnement de l’Union européenne, notamment en gaz naturel, destination de 23% des exportations nigérianes en 2021. Le pays dépend des importations de céréales (1/4 en provenance d’Ukraine-Russie), d’engrais (84% de Russie) et de produits raffinés. Au total, le besoin de financement externe apparaît modéré en 2022, avec un déficit du compte courant contenu (~1% du PIB selon le FMI) et un niveau d’amortissem*nt de dette raisonnable (~2% du PIB).

87 Les autorités misent beaucoup sur l’ouverture fin 2022 de la raffinerie privée Dangote, d’une capacité attendue de 650000 b/j. Reportée après les élections de février 2023, l’application du Petroleum Industry Act vise à attirer les investisseurs afin de doubler la production de brut et de gaz naturel et de développer la capacité de liquéfaction. Par ailleurs, les projets de gazoducs vers le Maroc et l’Algérie connaissent un regain d’intérêt, afin de desservir, à terme, l’Europe.

88 La croissance du PIB a ralenti de 7,7% en moyenne en 2000-2014 (super-cycle des matières premières) à 1,2% en 2015-2019. Après une récession contenue en 2020 (-1,8%), les secteurs hors hydrocarbures ont soutenu la reprise de l’activité en 2021 (+3,6%). Divisée par deux en une décennie, la production de pétrole est demeurée au S12022 inférieure de 25% au quota OPEP+ de 1,8 Mn b/j (problèmes de maintenance, sous-investissem*nt, sabotages et trafic).

Graphique 15

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (15)

89 Le FMI prévoit 3,4% de croissance du PIB en 2022 et un potentiel à moyen terme de 3%, loin de l’ambition de 5% du Plan national de développement 2021-2025 fondée sur un programme d’investissem*nt irréaliste de 850 Mds USD financé à 85% par le secteur privé. La croissance potentielle et la diversification économique sont contraintes par les insuffisances en termes de capital humain et d’infrastructures (transports, électricité), la complexité du cadre réglementaire, les surcoûts tout au long de la chaîne logistique, les difficultés des entreprises pour importer des biens intermédiaires (contrôles des changes) et accéder au financement, le manque de compétitivité à l’export et d’incitation pour les investisseurs locaux et étrangers, dans un contexte sécuritaire délicat.

90 Face à la «peur du flottement» (risque inflationniste associé à une dépréciation du naira) manifestée par les autorités, un renforcement de la position de liquidité extérieure faciliterait une flexibilisation du régime de change et un relâchement de l’offre de devises. La stratégie d’ancrage au dollar accompagné de barrières aux importations (tarifaires, non-tarifaires, contrôle des changes) adoptée en 2015 pour préserver les réserves de change (couvrant actuellement 6 mois d’importations), développer le secteur productif et contenir l’inflation apparaît inefficace et perturbatrice pour l’économie. Elle a alimenté pénuries, tensions inflationnistes et pressions récessives, avec des ramifications en termes de risque sociopolitique.

91 Malgré les dévaluations de 2016 et 2020, le naira demeure surévalué (~15% selon le FMI), et l’écart entre le nouveau taux de change de référence NAFEX depuis avril 2021 et le taux de change parallèle atteint 30%. L’inflation structurellement à deux chiffres (18,6% en g.a. en juin 2022) est tirée par la hausse des prix alimentaires (19,5%). À la fois Banque centrale, régulateur financier, Trésor public et banque de développement, la CBN a rehaussé son taux directeur de 250pb depuis mai à 14%, maintenant des taux d’intérêt réels négatifs et un guichet à taux bonifié (5%) pour certains secteurs d’activité. Elle est devenue prépondérante dans le financement de l’État (~30% de l’encours de dette publique en 2021).

92 La faiblesse des royalties versées par la société nationale NNPC (atonie de la production de pétrole) et le coût exorbitant des subventions aux prix des carburants (estimé à ~2% du PIB en 2022) ont conduit à l’adoption en avril 2022 d’un budget fédéral rectificatif ciblant un déficit de 4% du PIB contre 3,4% du PIB initialement. Le FMI prévoit un déficit public consolidé de 6,4% du PIB et une absence de consolidation budgétaire à moyen terme, tablant sur un plafonnement des recettes budgétaires à 7-8% du PIB, sans un rebond du secteur énergétique et une réforme fiscale d’envergure.

93 Le pays n’est plus sous programme FMI depuis 2001 (RFI de 3,4 Mds USD en 2020) et la dette publique (37% du PIB en 2021) est jugée soutenable avec un profil plutôt favorable (¾ de la dette en monnaie locale à 80% détenue par les résidents). Mais le risque de liquidité est élevé, en lien avec la lourde charge d’intérêts rapportée aux recettes budgétaires (33%) et l’augmentation de l’exposition au sentiment des marchés dans un contexte de resserrement des conditions de financement internationales. Le besoin de financement public est projeté par le FMI à plus de 11% du PIB en moyenne en 2021-26 (seuil d’alerte à 15%).

  • Cécile Duquesnay

95 Jouissant d’une position stratégique au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient, l’Azerbaïdjan a pu, après son indépendance de l’URSS en 1991, développer son offre de pétrole et de gaz, à la faveur de nouvelles techniques de prospection offshore et d’investissem*nts conséquents réalisés avec des majors pétrolières. Depuis 2020, ses pipelines, qui alimentent l’est et l’ouest de l’Europe tout en contournant la Russie, lui permettent de gagner des parts de marché. Cette tendance s’est accélérée suite aux sanctions imposées à la Russie en réaction à l’invasion de l’Ukraine. Avec la reprise de la demande, l’économie a renoué avec la croissance en 2021 et les prix élevés de l’énergie ont stimulé les comptes extérieurs ainsi que les finances publiques qui ont retrouvé leurs niveaux excédentaires d’avant-crise sanitaire. Malgré le risque inflationniste, les perspectives de court terme sont solides. Toutefois, le pays reste très exposé aux fluctuations des cours. Alors que la crise du Covid-19 avait rappelé l’urgence de diversifier le modèle économique national, l’effet d’aubaine lié à la crise énergétique actuelle et l’accélération de l’inflation risquent d’en retarder l’échéance.

96 L’histoire du pétrole a commencé à être écrite à Bakou. À la fin du 19esiècle, l’Empire russe est devenu le premier producteur de pétrole dans le monde avec 95% de sa production provenant des puits de l’Azerbaïdjan. Suite à l’ouverture de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan en mai 2005, une forte dynamique de croissance économique lui a permis d’augmenter considérablement le revenu moyen par habitant et de réduire significativement le taux de pauvreté. Le premier est passé de 680 USD à 7740 USD entre 2001 et 2014 et le second de 49% à 5% au seuil national sur la même période. Toutefois, les performances macroéconomiques du pays sont fortement liées à l’évolution des cours énergétiques mondiaux. Depuis 2014, la baisse des prix du pétrole a érodé le pouvoir d’achat des ménages et le confinement sévère mis en place en mars 2020 a accentué les disparités socio-économiques.

97 Situé au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient, l’Azerbaïdjan entend bien négocier ses richesses en concluant des accords de livraison de gaz et de pétrole aussi bien avec la Russie, l’Iran et la Turquie, qu’avec l’Union Européenne et la Géorgie. Ainsi, alors que les présidents Aliyev et Poutine ont signé en février, un nouvel accord visant à renforcer les relations bilatérales, l’Azerbaïdjan a été l’un des premiers pays de la région à condamner l’invasion de l’Ukraine, en vertu du principe à la souveraineté des États (également évoqué pour justifier le conflit avec l’Arménie autour du territoire disputé du Nagorno-Karabagh en 2020). Aussi, depuis les sanctions imposées à la Russie, le pays continue de gagner des parts de marché dans la course énergétique européenne. Grâce à la mise en service du gazoduc trans-anatolien (TANAP) fin 2019, il est devenu le premier fournisseur de gaz en Turquie, devant la Russie. Avec le mémorandum signé le 19juillet 2022 avec l’Union européenne, le pays augmentera ses livraisons de gaz de 8 à 12 Mds m3 en 2023. Elles passeront à 20 Mds m3 par an à moyen terme, soutenues par le gazoduc trans-adriatique (TAP), mis en service en 2020 et qui relie sur 900 km les côtes italiennes à la frontière gréco-turque. L’économie bénéficie également de la hausse des cours des autres matières premières dont elle est exportatrice.

Graphique 16

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (16)

98 L’activité économique a renoué avec une croissance vigoureuse en 2021 (5,6% contre -4,2% en 2020), bien que son rythme soit inférieur à celui enregistré au cours du super-cycle des matières premières de 1999 à 2008. Selon le FMI, le PIB réel devrait croître de 3,8% en 2022, tiré par la reprise de la demande et des cours d’hydrocarbures (Article IV 2022). En revanche, la croissance potentielle serait limitée à 2,5%.

99 L’exécution budgétaire est fortement exposée à l’évolution des cours énergétiques, 50% des revenus du gouvernement provenant du Fonds souverain pétrolier SOFAZ (State Oil Fund of Azerbaijan). Aussi, après avoir subi une forte détérioration en 2020 (-6,7% du PIB), le solde budgétaire s’est amélioré de 10,8 pp en 2021, atteignant un excédent de 4,1% du PIB en lien avec les prix élevés de l’énergie et, dans une moindre mesure, les recettes fiscales non pétrolières dynamiques et le retrait des mesures de soutien liées à la pandémie. Selon le FMI, le budget 2022 ayant été construit sur l’hypothèse d’un baril à 50 USD, l’excédent budgétaire est attendu à 9,7% du PIB. De même, avec 90% des exportations reposant sur le secteur des hydrocarbures, les comptes externes du pays ont retrouvé leurs niveaux d’avant-crise sanitaire avec un excédent du compte courant de 15,2% du PIB en 2021. L’augmentation des prix mondiaux et de la production d’hydrocarbures soutiendront, en valeur et en volume, la hausse des exportations (44% du PIB), avec un excédent du compte courant attendu à 24,6% du PIB en 2022 (FMI, Article IV, juillet 2022).

100 Les importants excédents de la balance courante sur la période 2006-2014 (23% du PIB en moyenne) ont permis l’accumulation de réserves de change, s’élevant désormais à plus de 53 Mds USD (soit plus de 30 mois de couverture d’importations), réparties entre les actifs du fonds pétrolier SOFAZ (~46 Mds USD) et les réserves de change de la Banque centrale CBA (~7 Mds USD). Leur niveau confortable limite le risque de liquidité externe et permet aux autorités de maintenir un arrimage ferme du manat au dollar américain (1,70 AZN/USD) depuis 2017, suite aux dévaluations de 2015. Cet ancrage de facto a permis de maîtriser l’inflation dans le contexte économique peu diversifié du pays.

101 La croissance de plus de 10% en g.a. de la production hors pétrole observée au T12022 reflète la reprise des services après la pandémie, mais également les progrès réalisés dans le développement des onze nouveaux secteurs ciblés par le plan stratégique de 2016 pour la diversification de la production et des exportations. Mais, face à l’accélération de l’inflation, la CBA a interrompu son cycle d’assouplissem*nt monétaire en procédant à cinq hausses consécutives de son principal taux directeur entre septembre 2021 et mars 2022 pour atteindre 7,75 pdb. Selon le FMI, l’inflation, qui a atteint 12% fin 2021, contre 2,7% fin 2020, devrait se maintenir à ces niveaux en 2022. De fait, le resserrement monétaire pourrait peser sur les investissem*nts, en particulier ceux des entreprises privées en dehors des secteurs traditionnels. Par ailleurs, l’appréciation du taux de change effectif réel pourrait ralentir la croissance des exportations non pétrolières et des produits de remplacement des importations, freinant ainsi la croissance du secteur privé.

  • Emmanuelle Monat

103 Depuis la double crise de change de 2018-2019, l’Argentine a connu une résurgence d’instabilité macroéconomique et budgétaire. Après la renégociation d’une partie de la dette publique détenue par les créanciers privés en 2020 et de longues discussions avec le FMI, un accord a été trouvé en mars 2022 pour la mise en place d’un nouveau programme. Cela devrait permettre de soulager les pressions à court terme sur la solvabilité et de rétablir progressivement la soutenabilité de la dette et des finances publiques. La hausse des prix des matières premières a des effets contradictoires sur l’économie: elle devrait améliorer les perspectives de croissance économique et permettre de reconstituer les réserves internationales, mais pourrait également peser sur la consolidation budgétaire et sur l’inflation, accentuant le risque de tensions sociales à l’approche des élections générales d’octobre 2023.

104 Depuis plusieurs décennies, la croissance économique argentine est volatile, alternant entre périodes de forte croissance et crises. Cette instabilité reflète notamment les nombreux changements de politique économique adoptés par les différents gouvernements qui se sont succédés. Après la crise de 2001, les politiques économiques se sont fondées essentiellement sur le protectionnisme, l’interventionnisme de l’État et un soutien à la consommation. De 2003 à 2007, la croissance a rebondi, soutenue par la hausse des prix des matières premières. L’Argentine est en effet un exportateur net de matières premières (70% de ses exportations totales de biens), principalement des céréales et oléagineux (environ 50% du total des exportations argentines). À partir de 2012, l’économie alterne à nouveau entre croissance faible et récessions, tandis que de nombreux déséquilibres apparaissent (taux de change surévalué, forte inflation, creusem*nt des déficits jumeaux financés via les réserves de change).

105 La double crise de change de 2018-2019 a plongé le pays en récession. La crise sanitaire a aggravé la situation, le pays enregistrant une récession de 9,9% en 2020, due à l’effet des mesures de confinement sur l’économie et à la diminution des recettes d’exportations agricoles et touristiques. La croissance a néanmoins rebondi solidement en 2021, à 10,2%, soutenue par un effet de base important et par la hausse des prix des matières premières.

106 La croissance économique atteindrait 4% en 2022 selon le FMI, soutenue par les prix élevés des matières premières, la reprise du tourisme et un retour progressif de la confiance internationale, en lien avec la signature d’un nouveau programme FMI en mars 2022. Ce dernier a été l’objet de longues discussions depuis la suspension en 2019 du précédent programme. Les autorités et le FMI sont finalement parvenus à un accord pour la mise en place d’un programme, qui devrait permettre de soulager les pressions de court terme sur la solvabilité, et de commencer à instaurer des politiques pour rétablir progressivement la soutenabilité de la dette et des finances publiques.

107 À moyen terme, certains secteurs ayant pris de l’ampleur au cours des dernières années pourraient être des relais de croissance économique importants. En plus du secteur agricole, le pays est riche en ressources énergétiques et minières. L’Argentine disposerait des secondes plus importantes réserves mondiales de gaz non conventionnel, dont la quatrième réserve mondiale de gaz de schiste. Par ailleurs, elle fait partie du triangle de pays, avec le Chili et la Bolivie, se partageant 60% des réserves mondiales de lithium connues à ce stade. En 2020, l’Argentine a produit 10% du lithium mondial, se classant ainsi parmi les cinq principaux pays producteurs. Les autorités souhaitent développer à la fois le secteur minier et le gaz, mais également les énergies renouvelables.

Graphique 17

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (17)

108 L’augmentation des prix des matières premières devrait avoir un impact positif limité sur le compte courant. En effet, alors que le pays devrait bénéficier de l’augmentation des prix des céréales via la hausse des prix et des quantités dédiées à l’exportation, la hausse des recettes d’exportations serait partiellement compensée par la hausse des prix de l’énergie, pesant sur la facture d’importations. L’Argentine est exportatrice nette de pétrole et importatrice nette de gaz, avec une balance énergétique encore négative tant que le potentiel de production énergétique demeure sous-exploité. Si l’effet net sur le compte courant est encore incertain à ce stade, il pourrait s’avérer légèrement positif, permettant notamment à l’Argentine d’engranger des devises, un des critères du nouveau programme FMI.

109 Alors que le programme FMI prévoit une consolidation budgétaire progressive, l’augmentation des prix de l’énergie pèsera sur la facture des subventions énergétiques. Ces dernières devaient initialement être diminuées de 0,6% du PIB en 2022 dans le cadre du programme. La mise en œuvre de cette réduction s’avère maintenant compliquée. L’augmentation du coût de l’énergie et de l’inflation devrait maintenir voire augmenter le poids des subventions dans les dépenses gouvernementales et nuire à la consolidation budgétaire. Cela étant, une augmentation des droits de douane, avec l’augmentation des exportations agricoles – taxées à 33% pour le soja et 12% pour le blé et le maïs – pourrait partiellement atténuer l’impact d’une facture de subventions plus élevée sur le déficit budgétaire. L’effet net sera néanmoins probablement négatif pour les finances publiques et dépendra à la fois de l’évolution des exportations agricoles, et de la mise en place d’autres réformes budgétaires.

110 La hausse des prix des matières premières viendra s’ajouter aux pressions inflationnistes déjà élevées, alors que les denrées alimentaires et l’énergie représentent plus de 30% du panier de consommation des ménages. Par ailleurs, le FMI estime que l’inflation importée devrait être élevée, une augmentation de 10% des prix mondiaux des denrées alimentaires et de l’énergie générant une hausse de l’inflation estimée à 1% sur 12 mois. Dans un contexte d’inflation structurellement élevée en Argentine, l’impact de ce choc pourrait être particulièrement important pour les ménages les plus pauvres et augmenter les risques de tensions sociales alors que le taux de pauvreté s’est accru suite à la crise Covid-19, à plus de 40% en 2021.

111 Si les élections générales d’octobre 2023 ne devraient pas remettre fondamentalement en cause le programme FMI, elles devraient néanmoins cristalliser le mécontentement d’une partie de la population sur les réformes qui en découlent et sur les effets économiques et sociaux, de la crise Covid-19 et de la hausse mondiale des prix des matières premières, qui pèsent sur le pouvoir d’achat. La démission en juillet du ministre de l’économie Martín Guzmán, considéré comme modéré au sein du gouvernement de centre-gauche, pourrait d’ores et déjà entraîner un relâchement de la politique budgétaire, accompagné d’une hausse de l’inflation et d’un renforcement du contrôle des capitaux, remettant indirectement en question les objectifs du programme FMI. Malgré les risques et incertitudes pesant sur la bonne tenue du programme, celle-ci demeure essentielle pour permettre à l’Argentine d’effectuer des ajustements afin de rétablir la confiance des investisseurs et de retourner sur les marchés financiers pour refinancer les nouvelles échéances de dette arrivant dès 2026.

  • Meghann Puloc’h

113 À l’aune du rebond des cours des matières premières, les perspectives économiques de la Bolivie s’éclaircissent, sans pour autant effacer les stigmates des années de crises politique puis sanitaire. Alors que la soutenabilité des politiques budgétaire et monétaire de la Bolivie avait été mise à mal par l’accumulation des déséquilibres macroéconomiques depuis le retournement des termes de l’échange en 2014, la conjoncture favorable offre un répit bienvenu qui pourrait constituer une fenêtre d’opportunité pour adapter les orientations stratégiques afin qu’elles puissent répondre efficacement aux défis de demain.

114 Pays andin bénéficiant d’importantes ressources naturelles en hydrocarbures (gaz naturel) et minerais (or, zinc, argent et étain), la Bolivie a, durant des décennies, structuré son modèle de croissance économique autour de son secteur extractif, qui concentre 80% de sa base exportatrice. Le pays fait désormais face à deux enjeux: stabiliser ses équilibres macroéconomiques et amorcer sa transition vers un modèle bas carbone.

115 Les recettes générées – qui représentent plus d’un tiers des recettes publiques – ont financé la politique sociale redistributive menée par le Président Evo Morales (2006-2019). Le PIB par habitant a ainsi progressé de 56% entre 2004 et 2019, le taux de pauvreté absolue a chuté de 29% en 2000 à 3% en 2019, tandis que les inégalités de revenus se sont réduites. L’impact socio-économique de la crise sanitaire de la Covid-19 et des mesures de réduction de la mobilité prises pour l’endiguer aurait pu être sévère au regard de la chute de 10% du PIB/habitant, soit un retour à son niveau de 2014. Il semble toutefois qu’un recours à l’auto-entreprenariat, des transferts monétaires directs quasi généralisés et un maintien des subventions au carburant aient en grande partie absorbé la détérioration du niveau de vie de la population. Ainsi, la hausse de la pauvreté estimée en 2020 (+1,4 p.p. pour le taux de pauvreté, +1,5 p.p. pour la pauvreté extrême selon la CEPAL) est l’une des plus faibles de la région tandis que les inégalités demeurent inférieures à leur niveau de 2017.

116 À court terme, le pouvoir d’achat des ménages boliviens est relativement préservé des pressions inflationnistes internationales (projection supérieure à 3% en 2022 contre 0,7% en 2021) grâce à deux facteurs d’atténuation. D’une part, l’ancrage au dollar américain du boliviano, mis en place en 2009, permet de maintenir un taux de change stable depuis la fin de l’année 2011. D’autre part, des prix administrés absorbent en partie l’envolée des cours des matières premières. À moyen terme, des indicateurs sociaux encore inférieurs à la moyenne régionale appellent à une formalisation de l’économie.

117 Stimulés par des politiques budgétaire puis monétaire expansionnistes, l’investissem*nt public et la consommation ont été les principaux moteurs d’une croissance économique dynamique, de 5% en moyenne entre 2005 et 2015. Le maintien de ces politiques, malgré le choc des termes de l’échange en 2014 et la chute des recettes associées, ont atténué le ralentissem*nt de la croissance jusqu’en 2018. Depuis, la croissance bolivienne porte les stigmates de la crise politique en 2019 (+2,2%) puis du contexte sanitaire en 2020 (récession majeure de 8,8%).

Graphique 18

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (18)

118 Dans ce contexte, d’importants déséquilibres budgétaires (déficit de 7,5% du PIB en moyenne entre 2015 et 2019), financés en partie par la Banque centrale, se sont traduits par une augmentation de la dette de 19 p.p. entre 2014 et 2019, à 59% du PIB. La pandémie a encore exacerbé les déséquilibres budgétaires: le déficit s’est creusé à 12,7% du PIB en 2020 puis s’est maintenu à un niveau élevé de 9,3% du PIB en 2021. En parallèle, le pays a subi un retournement des équilibres externes après une décennie d’excédents courants (déficit du compte courant de 5% du PIB en moyenne entre 2015 et 2019) et enregistré de moindres entrées d’IDE (inférieures à 2% du PIB depuis 2015). Les réserves en devises ont alors été sollicitées pour combler le besoin de financement et défendre la parité de la monnaie, au travers d’interventions répétées de la Banque centrale sur le marché des changes. La liquidité en devises s’est ainsi fortement érodée depuis 2014 et la chute s’est accélérée en 2019 et 2020 (-40% par an), avec un recours accru au financement monétaire face à la crise Covid-19. Les réserves en devises ne représentaient plus que 2,2 Mds USD fin 2021 contre 13,5 Mds en 2014, mettant en péril la soutenabilité du régime de change.

119 Le rebond des cours des manières premières, renforcé par la guerre en Ukraine, soutient la croissance économique, mais dans des proportions limitées. En effet, la production d’hydrocarbures représente moins de 3% du PIB depuis 2015. En outre, un sous-investissem*nt chronique depuis 2015 contraint la production gazière tandis que des contrats encadrent les volumes des exportations vers le Brésil et l’Argentine, destinataires exclusifs du gaz bolivien. Certes, l’activité minière pèse davantage (6% du PIB) et a contribué significativement au rebond de la croissance du PIB réel en 2021 (+5,5%). Toutefois, compte tenu de niveaux déjà très élevés l’an dernier, les cours des minerais et métaux boliviens ne bénéficient pas d’un sursaut additionnel significatif. Les projections de croissance économique pour 2022 ont ainsi été modestement révisées de 3,5% à 3,8%. En revanche, la conjoncture favorable bénéficie largement aux finances publiques et aux équilibres externes. Les recettes gazières - qui pourraient retrouver leur niveau de 2016 - devraient contribuer à ramener le déficit public à son niveau pré-crise. Alors que les déséquilibres du compte courant se sont nettement résorbés depuis 2020, la hausse de la facture des importations de pétrole raffiné ne devrait générer qu’un léger déficit en 2022 (-1,5% du PIB), après deux années d’équilibre. Pour autant, ces tendances n’offrent qu’un sursis à court terme aux politiques budgétaire et monétaire expansionnistes des autorités boliviennes, face à la persistance des déséquilibres macroéconomiques et à la raréfaction des sources de financement externes.

120 À moyen terme, l’enjeu de diversification de la production se fait de plus en plus pressant pour réduire l’exposition aux chocs externes et faire face au risque de transition bas carbone. Si le gaz joue un rôle ambivalent dans ce processus mondial, les principaux minéraux et métaux extraits des sols boliviens ne constituent pas des ressources stratégiques. Une exploitation à grande échelle du lithium – encore hypothétique – offrirait toutefois des perspectives prometteuses pour le pays qui détient les gisem*nts parmi les plus importants au monde. Ces activités extractives sont certes émissives de gaz à effet de serre (GES), mais la contribution de la Bolivie aux émissions mondiales de GES est limitée et provient en réalité essentiellement de la déforestation et de l’agriculture. Dès lors, alors que les investissem*nts étrangers se replient et que le recours aux marchés financiers internationaux est limité et coûteux, l’investissem*nt dans les secteurs extractifs reste essentiel. En effet, leurs exportations – projetées à la baisse par manque d’exploration – constituent une manne de devises primordiale pour financer cette transformation économique.

  • Alix Vigato

122 Le modèle de développement du Pérou repose largement sur l’exploitation de ses substantielles ressources minières (cuivre, or, argent, fer, zinc, plomb, étain, etc.). Alors que la fin du super-cycle des matières premières a entraîné un ralentissem*nt du taux de croissance économique et une dégradation des équilibres budgétaires et externes entre 2014 et 2019, l’économie a connu un puissant rebond en 2021 à la faveur de la remontée des cours. Toutefois, cette hausse des prix des matières premières alimente également une rapide accélération de l’inflation et vient par conséquent fragiliser une situation sociopolitique déjà dégradée.

123 Depuis une vingtaine d’années, le Pérou figure parmi les économies les plus dynamiques d’Amérique latine, affichant un taux de croissance annuel moyen (TCAM) de 5,1% entre 2002 et 2019. Le principal moteur de ce dynamisme est le secteur minier qui représente 12% du PIB et a largement profité d’un cycle d’investissem*nt productif, ainsi que d’une demande internationale soutenue sur la période. Le pays se positionne notamment comme premier producteur mondial d’or, de plomb et d’étain, et deuxième producteur de cuivre, d’argent et de zinc. Les concessions minières couvriraient 14% du territoire péruvien, et les substantielles réserves de minerais essentiels à la transition énergétique dont dispose le Pérou assurent au secteur extractif des perspectives favorables - en effet, selon le US Geological Survey, le Pérou détiendrait une part conséquente des réserves mondiales d’argent (20%), cuivre (10%), zinc (9%), plomb (7%), or (5%) et étain (2%).

124 Depuis 2014, un ralentissem*nt du rythme de croissance du PIB est observé du fait de la fin du super-cycle des matières premières qui entraîne un repli des cours internationaux et des investissem*nts et en raison d’une forte instabilité institutionnelle. Le TCAM a ainsi ralenti à 3,1% sur la période 2015-2019. Toutefois, la structure polymétallique de la production minière et la relative diversification de l’économie (biens agricoles, pêche, services) assurent à l’économie une certaine résilience face aux chocs exogènes.

125 En 2020, l’économie a violemment souffert des effets de la pandémie de Covid-19 et enregistré une récession de 11,0%. Le Pérou a en effet présenté le taux de mortalité par habitant le plus élevé au monde (213000 décès à fin juin 2022) et l’économie a été particulièrement affectée par la chute des prix des matières premières et par les strictes mesures de restriction sanitaire instaurées, lesquelles ont notamment conduit à la mise à l’arrêt provisoire des exploitations minières.

Graphique 19

Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (19)

126 En 2021, un rebond de l’économie plus dynamique qu’anticipé a été observé, la croissance du PIB s’établissant à 13,3%. Outre un effet de base non-négligeable et le maintien de mesures de soutien budgétaire, cette reprise a été engendrée par la forte hausse des prix des matières premières, celui du cuivre atteignant notamment son plus haut niveau historique. A court et moyen termes, les perspectives apparaissent toutefois moins favorables en raison du resserrement de la politique budgétaire et monétaire et des incertitudes relatives à la situation sociopolitique. Le FMI anticipe par conséquent une croissance de seulement 3,0% en 2022 (3,4% selon la Banque mondiale, 3,6% selon le gouvernement), en ligne avec la croissance potentielle.

127 Doté d’une règle budgétaire et du fait d’une certaine orthodoxie de la part de ses dirigeants, le Pérou est parvenu à maintenir son endettement public à un niveau relativement faible au cours des dernières décennies. Néanmoins, à partir de 2014, la chute des prix des matières premières et le ralentissem*nt concomitant de la croissance économique ont conduit le solde budgétaire – excédentaire jusqu’alors – à afficher un déficit. L’endettement public a ainsi progressé de 6 points de PIB entre 2014 et 2019, puis de 8 points en 2020. En 2021, la puissante reprise et la hausse des prix des matières premières ont permis une réduction du déficit budgétaire (à 2,6% du PIB, contre 6,2% encore anticipé en octobre 2021) et une stabilisation du ratio d’endettement à 36% du PIB. Le FMI prévoit à moyen terme une résorption du déficit budgétaire, qui se rapprocherait progressivement de l’équilibre.

128 Le solde de la balance courante péruvienne dépend également fortement des fluctuations du secteur extractif: exportations de matières premières, cours mondiaux et flux de rapatriements de bénéfices des multinationales opérant dans ce secteur. Mécaniquement, le solde courant a ainsi atteint un point bas en 2015 (environ -5% du PIB), avant de se résorber graduellement. En 2021, la forte reprise des importations et des flux sortants de rapatriement de bénéfices a surpassé la hausse des exportations, portant le déficit courant à 2,8% du PIB. La position extérieure demeure solide, dans la mesure où le pays dispose de très confortables réserves de changes (couvrant 14 mois d’importations fin 2021), d’un accès privilégié aux marchés financiers internationaux (souverain noté investment grade par les agences de notation) et d’une Flexible Credit Line «de précaution» de 5,4 Mds USD du FMI jusqu’en 2024. Depuis mi-2021, une certaine volatilité du sol – largement imputable aux tensions politiques – est observée, que la Banque centrale tente de limiter via de substantielles interventions sur le marché des changes (18 Mds USD injectés en 2021, soit 8% du PIB).

129 Le Pérou traverse depuis plusieurs années une période de forte instabilité institutionnelle. Les quatre présidents ayant dirigé le pays de 2000 à 2018 sont tous impliqués dans le scandale de corruption Odebrecht, et cinq présidents se sont succédés entre 2018 et 2021. Elu en juillet 2021 au terme d’une campagne présidentielle extrêmement tendue, le socialiste Pedro Castillo doit faire face à de nombreuses oppositions, à commencer par celle du Congrès (dominé par le centre-droit). Dans un tel contexte, M. Castillo a, depuis l’élection, largement tempéré son discours et s’est engagé à prévenir tout dérapage des comptes publics et externes.

130 Le Pérou apparaît peu exposé au conflit russo-ukrainien – exception faite des importations de fertilisants russes (–~40% des approvisionnements) – mais son économie souffre du renchérissem*nt des prix induit indirectement par la guerre. L’inflation accélère ainsi depuis plusieurs mois (8,8% en g.a. en juin 2022, son plus haut niveau depuis 1997). Bien que l’inflation sous-jacente demeure maîtrisée, la Banque centrale a fortement resserré sa politique monétaire avec douze relèvements de taux d’intérêt directeur entre août 2021 et juillet 2022. Si diverses mesures d’urgence ont été introduites en avril 2022 (baisse de taxe sur les carburants et de TVA, revalorisation du salaire minimum), la hausse des prix alimente le mécontentement de la population, et la position du président Castillo, déjà ébranlé par la succession de quatre Premiers ministres et par deux tentatives d’impeachment depuis son élection, se trouve fortement fragilisée.

AFRREOSub-Saharan Africa Regional Economic Outlook
APDaide publique au développement
ARAmesure Assessing Reserves Adequacy du FMI
ASSAfrique subsaharienne
AVDanalyse de viabilité de la dette
BAsDBanque Asiatique de Développement
BCEAOBanque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest
BEACBanque des États de l’Afrique centrale
BERDBanque Européenne pour la Reconstruction et le développement
BFEbesoin de financement externe
BFPbesoin de financement public
b/jbarils par jour
BMBanque mondiale
B&Sbiens et services
CdPClub de Paris
CEMACCommunauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
CNUCEDConférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNYyuan chinois ou rénmínbì (RMB)
COMCollectivité d’Outre-Mer
DTSdroit de tirage spécial
DROMDépartements et Régions d’Outre-Mer
EUReuro
FCRfacilité de crédit rapide
FECfacilité élargie de crédit
FMIFonds monétaire international
FRELIMOFrente de Libertação de Moçambique (Front de libération du Mozambique)
FYfiscal year (année fiscale américaine)
g.a.glissem*nt annuel
GBPlivre sterling
IDEinvestissem*nt direct étranger
IDSbase de données International Debt Statistics de la Banque mondiale
IEDOMInstitut d’ Emission des Départements d’Outre-Mer
IFRinstrument de financement rapide
IFSbase de données International Financial Statistics du FMI
INEIInstituto Nacional de Estadística y Informática (Pérou)
ISSDInitiative de Suspension du Service de la Dette
IPinvestissem*nt de portefeuille
JPYyen japonais
Mdmilliard
Mnmillion
OCDEOrganisation de coopération et de développement économique
PEDpays émergents et en développement
PFRpays à faible revenu
PIBproduit intérieur brut
PNUDProgramme des Nations Unies pour le Développement
ppp oint de pourcentage
PPTEpays pauvre très endetté
PRITIpays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure
PRITSpays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure
TANAPTrans-Anatolian Natural Gas Pipeline (gazoduc trans-anatolien)
TAPTrans-Adriatic Pipeline (gazoduc trans-adriatique)
TCAMtaux de croissance annuelle moyen
UEUnion européenne
UEMOAUnion économique et monétaire ouest africaine
USAIDUnited States Agency for International Development
USDdollar américain
WEOrapport World Economic Outlook du FMI
1Évolution historique des principaux indices de matières premières
2Prix réels de quelques grands produits
3Gains et pertes sur le compte courant et la croissance
4Révision des projections d’inflation en 2022
5Part de l’énergie et des produits alimentaires dans le panier de consommation de quelques PED
6Hausse du solde primaire vs. taux d’endettement public
7Part de l’Ukraine et de la Russie dans la dépendance aux importations de céréales
8Cours nominal des métaux de la transition
9Typologie indicative, par région, des effets de la hausse des cours des matières premières
10Prix du pétrole et agrégats macroéconomiques (Angola)
11Dynamisme et structure de la valeur ajoutée par secteur (RDC)
12Principaux agrégats macroéconomiques (Égypte)
13Évolution et composition de la croissance économique (Guinée)
14Projections des équilibres budgétaire et courant (Mozambique)
15Le cours du brut, variable cardinale de l’économie (Nigeria)
16Les hydrocarbures, véritables piliers de l’économie (Azerbaïdjan)
17Principaux agrégats macroéconomiques (Argentine)
18Des équilibres macroéconomiques sensibles aux cours des matières premières (Bolivie)
19Une base exportatrice dominée par les matières premières (Pérou)
Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla (2024)
Top Articles
Google's antitrust ruling has experts looking to 25-year-old Microsoft case for answers
How Google's huge defeat in antitrust case could change how you search the internet
Spasa Parish
Rentals for rent in Maastricht
159R Bus Schedule Pdf
Sallisaw Bin Store
Black Adam Showtimes Near Maya Cinemas Delano
Espn Transfer Portal Basketball
Pollen Levels Richmond
11 Best Sites Like The Chive For Funny Pictures and Memes
Things to do in Wichita Falls on weekends 12-15 September
Craigslist Pets Huntsville Alabama
Paulette Goddard | American Actress, Modern Times, Charlie Chaplin
Red Dead Redemption 2 Legendary Fish Locations Guide (“A Fisher of Fish”)
What's the Difference Between Halal and Haram Meat & Food?
R/Skinwalker
Rugged Gentleman Barber Shop Martinsburg Wv
Jennifer Lenzini Leaving Ktiv
Justified - Streams, Episodenguide und News zur Serie
Epay. Medstarhealth.org
Olde Kegg Bar & Grill Portage Menu
Cubilabras
Half Inning In Which The Home Team Bats Crossword
Amazing Lash Bay Colony
Juego Friv Poki
Dirt Devil Ud70181 Parts Diagram
Truist Bank Open Saturday
Water Leaks in Your Car When It Rains? Common Causes & Fixes
What’s Closing at Disney World? A Complete Guide
New from Simply So Good - Cherry Apricot Slab Pie
Drys Pharmacy
Ohio State Football Wiki
Find Words Containing Specific Letters | WordFinder®
FirstLight Power to Acquire Leading Canadian Renewable Operator and Developer Hydromega Services Inc. - FirstLight
Webmail.unt.edu
2024-25 ITH Season Preview: USC Trojans
Metro By T Mobile Sign In
Restored Republic December 1 2022
12 30 Pacific Time
Jami Lafay Gofundme
Greenbrier Bunker Tour Coupon
No Compromise in Maneuverability and Effectiveness
Black Adam Showtimes Near Cinemark Texarkana 14
Teamnet O'reilly Login
U-Haul Hitch Installation / Trailer Hitches for Towing (UPDATED) | RV and Playa
Wie blocke ich einen Bot aus Boardman/USA - sellerforum.de
Infinity Pool Showtimes Near Maya Cinemas Bakersfield
Dermpathdiagnostics Com Pay Invoice
How To Use Price Chopper Points At Quiktrip
Maria Butina Bikini
Busted Newspaper Zapata Tx
Latest Posts
Article information

Author: Terrell Hackett

Last Updated:

Views: 5543

Rating: 4.1 / 5 (72 voted)

Reviews: 95% of readers found this page helpful

Author information

Name: Terrell Hackett

Birthday: 1992-03-17

Address: Suite 453 459 Gibson Squares, East Adriane, AK 71925-5692

Phone: +21811810803470

Job: Chief Representative

Hobby: Board games, Rock climbing, Ghost hunting, Origami, Kabaddi, Mushroom hunting, Gaming

Introduction: My name is Terrell Hackett, I am a gleaming, brainy, courageous, helpful, healthy, cooperative, graceful person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.